Le Galeriste
Somogy « Le monde est un théâtre. De la galerie, on voit les collectionneurs comme de son balcon. » Dans une tonalité intimiste, Bernard Vidal, vingt-cinq ans après l’ouverture de la galerie Vidal-Saint Phalle, livre un florilège des expériences professionnelles et artistiques qui ont jalonné son parcours. Il se plaît à organiser ses écrits comme il pense l’art : une suite de tableaux agencés en une plaisante variation. Plusieurs anecdotes drolatiques se donnent comme clefs de voûte du récit : des arnaques d’un collectionneur sans-lesou à la fièvre acheteuse compulsive d’un François Larsen dit LarsenLupin, en passant par les mondanités des vernissages et les attentes interminables dans les foires où le galeriste, comparé au forain, « attend le client ». Aux souvenirs empreints d’une émouvante authenticité, Vidal appose par touches ses réflexions autour de la peinture, de la beauté, de l’abstraction, et même de Cézanne ou du plus lointain Baldovinetti, et propose des constats variés sur les vices et coutumes du métier : de la faculté des enfants à transformer une galerie en cour de récréation ou de l’inutilité du livre d’or. Organigramme amusé des différents protagonistes de la société artistique, le Galeriste passe en revue l’adjointe à la culture, l’expert, le collectionneur, le conservateur, l’artiste (Victor l’ahuri, la colérique Aurélie, le susceptible Cavaillès, Natta Konycheva, Max Neumann et les autres). Avec l’élégance qui le caractérise, son oeil critique et sa sensibilité artistique, le galeriste compose avec la naïveté, le caractère parfois pompeux, l’excentricité et l’enthousiasme de ces acteurs. Et le charme opère. Avec nostalgie et humour, dans un style coloré, animé et poétique, il donne vie au théâtre de l’art contemporain. Léon Moussinac (1890-1964), critique et théoricien des arts au fort engagement communiste, directeur de l’Idhec et de l’Ensad dans les années 1940-50, reste méconnu. Valérie Vignaux (en collaboration avec François Albera) comble cette lacune avec la publication de deux volumes richement illustrés de plus de 500 pages. Le premier est une anthologie critique adjointe d’un glossaire raisonné, regroupant des textes sur le cinéma (mais aussi les arts décoratifs, le théâtre et la musique) publiés dans nombre de revues. L’éclectisme des intérêts et la minutie des études conversent avec l’engagement politique pour gagner en vigueur. Moussinac réalise un suivi attentif des évolutions et inventions mondiales du cinéma, constituant aussi (avec Delluc et Canudo) une première appréhension théorique et programmatique du jeune art. Créateur au Mercure de France en 1920 puis à l’Humanité en 1922 des premières rubriques dédiées au cinéma, conscient d’être à une époque pionnière, Moussinac plaide pour l’amélioration (technique et artistique) des oeuvres, pour que s’y intéressent et s’y impliquent les intellectuels, pour l’action concrète des spectateurs qu’il encourage à applaudir ou siffler les (mauvais) films – afin de forcer la main aux exploitants de salles ! À l’Humanité, un procès resté fameux l’opposa en 1926 au distributeur Jean Sapène, son issue heureuse conduisant à la reconnaissance et à l’indépendance de la critique de cinéma. Le second volume propose quatorze études de spécialistes étoilant les principaux intérêts de Moussinac (ses apports et rapports à la communauté intellectuelle, ses engagements politiques et institutionnels), déroulant leurs dynamiques, leurs transformations et tout ce qu’ils agrègent de l’histoire.