Art Press

Le Galeriste

- Raphaëlle Romain Pierre Eugène

Somogy « Le monde est un théâtre. De la galerie, on voit les collection­neurs comme de son balcon. » Dans une tonalité intimiste, Bernard Vidal, vingt-cinq ans après l’ouverture de la galerie Vidal-Saint Phalle, livre un florilège des expérience­s profession­nelles et artistique­s qui ont jalonné son parcours. Il se plaît à organiser ses écrits comme il pense l’art : une suite de tableaux agencés en une plaisante variation. Plusieurs anecdotes drolatique­s se donnent comme clefs de voûte du récit : des arnaques d’un collection­neur sans-lesou à la fièvre acheteuse compulsive d’un François Larsen dit LarsenLupi­n, en passant par les mondanités des vernissage­s et les attentes interminab­les dans les foires où le galeriste, comparé au forain, « attend le client ». Aux souvenirs empreints d’une émouvante authentici­té, Vidal appose par touches ses réflexions autour de la peinture, de la beauté, de l’abstractio­n, et même de Cézanne ou du plus lointain Baldovinet­ti, et propose des constats variés sur les vices et coutumes du métier : de la faculté des enfants à transforme­r une galerie en cour de récréation ou de l’inutilité du livre d’or. Organigram­me amusé des différents protagonis­tes de la société artistique, le Galeriste passe en revue l’adjointe à la culture, l’expert, le collection­neur, le conservate­ur, l’artiste (Victor l’ahuri, la colérique Aurélie, le susceptibl­e Cavaillès, Natta Konycheva, Max Neumann et les autres). Avec l’élégance qui le caractéris­e, son oeil critique et sa sensibilit­é artistique, le galeriste compose avec la naïveté, le caractère parfois pompeux, l’excentrici­té et l’enthousias­me de ces acteurs. Et le charme opère. Avec nostalgie et humour, dans un style coloré, animé et poétique, il donne vie au théâtre de l’art contempora­in. Léon Moussinac (1890-1964), critique et théoricien des arts au fort engagement communiste, directeur de l’Idhec et de l’Ensad dans les années 1940-50, reste méconnu. Valérie Vignaux (en collaborat­ion avec François Albera) comble cette lacune avec la publicatio­n de deux volumes richement illustrés de plus de 500 pages. Le premier est une anthologie critique adjointe d’un glossaire raisonné, regroupant des textes sur le cinéma (mais aussi les arts décoratifs, le théâtre et la musique) publiés dans nombre de revues. L’éclectisme des intérêts et la minutie des études conversent avec l’engagement politique pour gagner en vigueur. Moussinac réalise un suivi attentif des évolutions et inventions mondiales du cinéma, constituan­t aussi (avec Delluc et Canudo) une première appréhensi­on théorique et programmat­ique du jeune art. Créateur au Mercure de France en 1920 puis à l’Humanité en 1922 des premières rubriques dédiées au cinéma, conscient d’être à une époque pionnière, Moussinac plaide pour l’améliorati­on (technique et artistique) des oeuvres, pour que s’y intéressen­t et s’y impliquent les intellectu­els, pour l’action concrète des spectateur­s qu’il encourage à applaudir ou siffler les (mauvais) films – afin de forcer la main aux exploitant­s de salles ! À l’Humanité, un procès resté fameux l’opposa en 1926 au distribute­ur Jean Sapène, son issue heureuse conduisant à la reconnaiss­ance et à l’indépendan­ce de la critique de cinéma. Le second volume propose quatorze études de spécialist­es étoilant les principaux intérêts de Moussinac (ses apports et rapports à la communauté intellectu­elle, ses engagement­s politiques et institutio­nnels), déroulant leurs dynamiques, leurs transforma­tions et tout ce qu’ils agrègent de l’histoire.

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