Éditorial La (dé-) consommation de l’art ?
The (de-?) consuming of art.
Au moment où la Fiac ouvre ses portes, se tient une exposition programmée non sans pertinence et impertinence par la Monnaie de Paris. Dans Take Me I’m Yours, qui est aussi délicieusement perverse, tout (ou presque) est à emporter gratuitement. Que l’on s’y rende en début ou en fin de journée change radicalement la perception que l’on en a, du moins est-ce l’expérience que j’ai faite. De bonne heure, lorsque l’exposition est « approvisionnée », ce sont des propositions de communion rituelle, de don, d’échange, vision poétique et généreuse portée par les principes de l’esthétique relationnelle définie par Nicolas Bourriaud – qui est interviewé dans ce numéro. Mais lorsque, un peu plus tard, des hordes de visiteurs sont passées par là, c’est au contraire le reflet de la rapacité de la nature humaine que l’on voit dans le miroir de l’art. Re-création d’une exposition organisée par Christian Boltanski et Hans-Ulrich Obrist à la Serpentine Gallery de Londres en 1995 – ils sont aussi commissaires de l’exposition à Paris avec Chiara Parisi, directrice artistique de la Monnaie – Take Me I’m Yours semble avoir changé de sens en vingt ans : le joyeux happening post-Fluxus peut aussi être lu comme un commentaire violent, presque pornographique, sur la société contemporaine et le monde de l’art. Où sont les limites entre les oeuvres, les reliques, les échantillons promotionnels ? Où se trouve le bien commun? Faut-il conserver ou consommer? Et comment consomme-ton l’art dans un musée, chez soi ou dans une foire ? La Fiac, qui fait chaque année la pluie et le beau temps avec une drastique sélection de galeries suscitant toujours de nombreux commentaires, enthousiasmes et réels regrets, se tient justement à quelques mètres de là. Or elle offre cette année un programme Hors les Murs encore plus étoffé que d’habitude, auquel nous consacrons un dossier spécial. On y retrouve des installations monumentales installées en ville mais aussi des cycles de performances, conférences et rencontres poétiques, propositions ouvertes à tous et pas forcément destinées à la vente. La comparaison s’arrête là, et en dépit du mélange des genres que le marché de l’art produit aujourd’hui et dont nous sommes aussi partie prenante, les institutions et les foires ont encore, et cela est nécessaire, des responsabilités différentes et complémentaires. Ce parallèle soulève toutefois des questions sur d’éventuelles formes de « dé-consommation » de l’art qui méritent assurément un peu de temps et de réflexion.
Anaël Pigeat The opening of the FIAC coincides with a pertinent and impertinent exhibition at the Monnaie de Paris, Take Me I’m Yours. At this deliciously perverse show, everything (or nearly) can be taken away, for free. Your impression of the show will be one thing if you go in the morning, another if you see it at the end of the day. Or at least that’s how it was for me. Early, when the exhibition is “stocked up,” you will see propositions of ritual communion, giving and exchange, in a poetic vision inspired by the principles of the relational aesthetics defined by Nicolas Bourriaud, who gives a long interview in this issue. Later, however, after the hordes of visitors have been through, what you get is a picture of human rapacity painted by art. Recreating an exhibition organized in 1995 at London’s Serpentine Gallery by Christian Boltanski and Hans-Ulrich Obrist—also the cocurators here, with the Monnaie’s artistic director Chiara Parisi—,
Take Me I’m Yours seems to have acquired a different meaning after twenty years. This joyous post-Fluxus happening can also be read as a violent, almost pornographic commentary on contemporary society and the art world. How do we distinguish between works, relics and promotional samples? Where is the common good? Should we keep or consume? And how do we consume art in a museum, at home or at a fair? The FIAC, which makes the artistic weather here, and whose stringent selection of galleries always elicits a host of commentaries, enthusiasms and sincere regrets, is nearby. And this year it is offering a Hors les Murs program that is even richer than in previous years, the subject of a special section here. This includes monumental installations around the city but also a cycle of performances, talks and poetic events. These are open to all and not necessarily commercial in nature. But that’s as far as the comparison goes. Despite the mixing of genres generated by today’s art world, of which we are also a part, institutions and fairs still have, and must have, different and complementary roles. Even so, the parallel raises certain questions about the possible “de-consumption” of art, questions which really do merit a bit of time and thought.
Anaël Pigeat Translation, C. Penwarden