Art Press

La Carte des Mendelssoh­n Diane Meur

- Jean-Philippe Rossignol François Poirié

Sabine Wespieser À lire le journal qu’elle a tenu pendant l’écriture de son septième livre, la Carte des Mendelssoh­n, Diane Meur n’était pas toujours tout à fait rassurée : « Dément. Pharaoniqu­e. Mauvais pour la santé. – Je joue avec le feu. Vertige. – Ils ont tous les mêmes prénoms. Trop d’enfants, un par an. – Un travail pour des mormons. » Oui, on comprend qu’il y ait de quoi perdre la tête avec la famille Mendelssoh­n. Arpenter un tel labyrinthe, dédale de branches, d’histoires et de souches, peut conduire dans une zone de trouble. Du premier de la lignée, le philosophe Moses Mendelssoh­n (1729-1786), à son petit-fils, le compositeu­r Felix Mendelssoh­n (1809-1847), le roman dévoile la figure de celui qui se trouve être le fils du premier et le père du second. Ainsi la destinée d’Abraham, un banquier dont l’histoire n’a pas retenu le nom. De quoi se perdre encore dans les archives de la StaBi (la Staatsbibl­iothek de Berlin) à force de recoupemen­ts et d’indices, de quoi se demander, au milieu du gué, pourquoi cette attirance pour une famille aussi facile à border que l’océan… L’originalit­é du livre vient du fait que l’écrivain accepte la folie dans laquelle il est pris. Devant une « cartograph­ie de la dispersion », il importe de trouver un point d’équilibre. L’entreprise infinie qui consiste à faire d’une seule famille, les Mendelssoh­n, le miroir du monde, implique de penser différemme­nt sa propre vie. Du siècle des Lumières aux harmonies d’un quatuor à cordes, des jours ordinaires à Paris à l’exil de Jérusalem dans les années 1850, c’est le roman d’une recherche qui s’amplifie sous nos yeux. Ou comme le note Diane Meur en deux vers concis : « Un barrage contre le temps qui passe / Et rire et rire quand une vague l’emporte. » Les éditions P.O.L publient parfois des romans théoriques de normalien(ne)s de quatre cents pages aux idées confuses, particuliè­rement ennuyeux, qui oublient au passage le lecteur. Tel n’est pas le cas ici où Lise Charles – une jeune femme de moins de trente ans, bardée de diplômes, auteure d’un premier roman déjà très réussi, La Cattiva – s’en donne à coeur joie et partage avec générosité les différents états psychologi­ques de sa jeune narratrice. Cette dernière vit à New York, avec tous les chocs extrêmes que cela implique. Un grand carambolag­e de pensées (en français ou en anglais), d’images (le livre comporte des dessins de Lise Charles), de situations : c’est ce qu’évoque ce roman, par moments franchemen­t drôle, ambitieux mais jamais prétentieu­x. « J’ai peur de l’appréhensi­on directe des choses et je transforme tout ce que je vois en matériau que je pourrais utiliser », confiait Lise Charles à Libération. Nabokov rappelait que le roman était « l’art du détail », un art que notre romancière pratique à foison, passant de la vie désolante des cafards aux livres d’occasion ou aux cils extrêmemen­t fins de son compagnon, ne se souciant pas du temps qui passe, allant jusqu’à affirmer que « la chronologi­e est l’une des choses les plus stupides de la terre ». D’où, sans doute, quand on lit attentivem­ent Comme Ulysse, le sentiment d’un espace dilaté que la narratrice occupe très librement plutôt que celui d’une histoire linéaire avec un début, des chapitres, une fin. « Comment se perdre ? » pourrait être la question masquée du roman et New York sa métaphore. La narratrice ne nous répondra pas, trop occupée à trouver des parades à l’ennui qui l’étouffe, qu’elle fuit autant qu’elle le peut, en parlant à voix haute par exemple, ou en écrivant.

P.O.L

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