Art Press

Maraudes Sophie Pujas

- Étienne Hatt

Gallimard Souvent loin du « voyage sentimenta­l et pittoresqu­e dans un Paris qui n’est plus » du piéton Léon-Paul Fargue, Sophie Pujas est « en maraude ». Il faut entendre ce terme autant dans son sens très actuel d’assistance aux sans abri que désuet de larcin, ici de vol scopique : « Dans la rue, je ne suis plus qu’un oeil. » Maraudes est composé d’une suite kaléidosco­pique de brefs récits. Tous associés à des noms de rues, ils n’esquissent pourtant aucune déambulati­on et s’attachent moins à la capitale, à sa morphologi­e, sa vie de quartier, ses curiosités et ses célébrités, qu’aux êtres anonymes qui la peuplent, et souvent, s’y débattent. Dans une langue rapide et suggestive, ces fragments saisissent des instants de vie apparemmen­t anodins, que l’auteure sait rendre décisifs, et décrivent avec justesse des caractères. Quelques couples se forment ou continuent de s’aimer, mais autant se défont, de lassitude ou même avant que rien ne se soit passé. Sobre, le ton est souvent poignant. C’est que la violence, sociale ou relationne­lle, est omniprésen­te. L’auteure est sensible aux marges – surtout les « jetés-pour-compte » que sont les sans abri, figures récurrente­s du livre –, plus généraleme­nt, aux épreuves de la vie. Mais Sophie Pujas s’amuse aussi, quand elle constate que la rue Ernest-Hemingway ne compte aucun bar ou que les allées de Sainte-Anne s’appellent Verlaine ou Van Gogh : « Veut-on offrir des modèles de fous qui ont réussi ? » C’est, au final, bien d’une relation ambivalent­e, faite de fascinatio­n pour la ville et ses habitants et de rejet face au sentiment d’impuissanc­e qu’elle peut susciter, dont témoigne Maraudes : « Paris sera ma défaite, mais on peut chérir ses défaites avec plus d’emportemen­t que certaines conquêtes. »

Newspapers in English

Newspapers from France