Archives du vent Pierre Cendors
Le Tripode Ce livre splendide et déroutant nous propose ce que la littérature d’aujourd’hui sait créer de plus inventif : brassage des registres, pas de « mode d’emploi », pas « un » sujet mais des aventures de l’esprit, des ouvertures, du risque et, surtout, une écriture singulière parsemée d’éclats de beauté. « Mon histoire n’est pas un roman. Il ne s’agit pas plus d’un testament que d’une confession. C’est une formule talismanique pour sortir du monde sans en sortir », est-il noté à un moment. Le livre, qui nous porte, perdrait beaucoup à être résumé en deux ou trois lignes. Nous dirons simplement qu’un réalisateur de génie – Egon Storn – s’isole avant la diffusion de sa trilogie qui révolutionnera le cinéma. Dans le premier volet, Nebula, Louise Brooks – « le plus beau visage du monde », disait Marguerite Duras – joue une jeune artiste juive. « Un film où tout est métaphorique et où rien n’est fictif », précise Egon Storn. Le narrateur est littéralement obsédé – la fascination comme thème philosophique, artistique, existentiel… – par le cinéma de Storn et par ses pensées comme celle-ci : « Les histoires comme l’ombre des générations qui nous ont précédés quêtent en nous leur fin. » La solitude habite le narrateur – attiré par le nord, l’Islande… – sans qu’il s’en plaigne, lui qui est en quête d’« un autre réel » où la cohérence ne serait pas le principe décisif mais où règnerait plutôt un principe d’incertitude. L’art peut-il conduire à cet « autre réel » ? L’art des autres ou, éventuellement, notre création personnelle ? À la fin de ce livre-mosaïque, que le lecteur ne cherche pas à « comprendre » mais qu’il fait résonner en lui, l’artiste est celui qui a su faire naître dans son oeuvre l’ombre du double, la présence de l’autre. Celui qui sait que nous ne sommes pas seuls.