Art Press

L’Oreille de Lacan

- Jacques Henric

La Différence Patrice Trigano appartient à cette génération de galeristes qui, à leur qualité de grands collection­neurs et marchands, ajoutent celle de fins connaisseu­rs de la littératur­e et de la musique. Il n’est pas seulement un lecteur passionné, notamment des écrivains qui ont marqué le siècle passé, les surréalist­es, Breton, Artaud, Bataille…, il est l’auteur de deux romans, la Canne de saint Patrick (inspiré de la vie d’Artaud), le Miroir à sons (consacré à Raymond Roussel), tous deux publiés aux éditions Léo Scheer. L’Oreille de Lacan est son troisième roman, dans lequel, comme l’annonce son titre, le Maître de la rue de Lille fait une entrée remarquée dans la vie du personnage principal du livre, Samuel Rosen, un dandy solitaire, hyper cultivé, hypocondri­aque, auteur d’un livre « événement » avorté, et dont la sexualité chaotique ne pouvait que le conduire à celui qui avait émis sur l’amour des sentences plutôt accablante­s aux yeux des adorateurs des dieux Éros et Agapè. Quant à l’intérêt maintes fois affirmé du même Lacan pour la religion catholique, elle ne pouvait que conduire le malheureux esthète, mettant ses pas dans ceux de Francis Poulenc, vers Rocamadour, où le musicien se recueillit devant la fameuse Vierge noire. Les pèlerinage­s et les retraites chez les moines de la région furent au 19 siècle un must dans la biographie des écrivains en mal de conversion. Huysmans fut l’un d’eux, dont Michel Houellebec­q a montré l’influence qu’il a eue sur le narrateur de son roman Soumission. Je laisse au lecteur la surprise, jubilatoir­e, de découvrir comment se termine l’aventure du décadent lettré. Le récit qu’en fait Patrice Trigano est d’une grande drôlerie. Ne vous étonnez pas si vous rencontrez un clown qui ressemble à Lacan et qui lance un tonitruant : « Au bordel ! »

Newspapers in English

Newspapers from France