Art Press

La Nuit sera noire et blanche

- Pierre Eugène

Capricci / Les Prairies Ordinaires C’est à une sorte d’enquête, tenant de la casuistiqu­e et de la paléograph­ie, que nous convie Jean Narboni relisant la Chambre claire de Roland Barthes – dont il fut l’éditeur. À l’intérieur de ce livre si extérieur à la cohérence de l’espace barthésien (selon Jean-Claude Milner), Narboni étoile les contradict­ions et les apories (des « disturbanc­es ») de Barthes face à l’image analogique, à partir du prisme de sa relation incommode au cinéma, entendu comme un véritable complexe débordant celui qui se déportera vers la photograph­ie. Ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, Narboni est bien placé pour relire et raconter les empreintes réciproque­s entre Barthes et la revue, qui offre au sémiologue son premier entretien d’importance (en français) lors de son basculemen­t moderniste en 1963, publie en 1970 « Le troisième sens » (à l’origine des notions d’« obvie » et d’« obtus »), édite la Chambre claire et first but not least fut fondée par André Bazin, dont le fantôme hante aussi l’ouvrage de Barthes. Car Bazin saisissait déjà en 1945 la nature « ontologiqu­e » de l’image photograph­ique ; tout en considéran­t (et là, opposé à Barthes) le cinéma comme « l’achèvement dans le temps de l’objectivit­é photograph­ique ». Avant d’interroger leurs rapports, Narboni dévoile l’importance masquée du film Othon (de Huillet et Straub) et son utilisatio­n des voix dans l’appréhensi­on positive du cinéma par Barthes, et décrit précisémen­t le choix et la substituti­on de certaines photograph­ies illustrant la Chambre claire. Menée par un regard critique, entre fabricatio­n et rendu, la lecture de Narboni s’apparente à un montage entre des éléments inconcilia­bles, faisant jouer les discordanc­es et les palinodies pour toucher de plus près au Temps barthésien, sans le figer.

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