UNE NOUVELLE ÉCRITURE DE L’HISTOIRE
Que le collectif s’effrite et donne naissance à une constellation d’individus isolés est l’une des observations au fondement de la pratique de Giuseppe Chico et Barbara Ma
, tijevic. Depuis 2007, date du début de leur collaboration, le duo italo-croate s’intéresse aux micro-récits qui se développent sous l’influence d’Internet. Marqués par la conscience du changement de paradigme engendré par le numérique, les deux artistes, venus respectivement du théâtre et de la danse, se lançaient dans l’écriture d’une
Théorie d’une performance à venir ou le seul moyen d’éviter le massacre serait-il d’en devenir les auteurs ?, le cycle proposait une nouvelle écriture de l’histoire. D’une approche résolument non scientifique, défiant les structures narratives usuelles, le récit se construisait à partir des écritures informelles du quotidien glanées sur la toile, engendrées par la démocratisation des outils de captation de l’image – webcams, caméras numériques et téléphones cellulaires. Leurs performances s’apparentaient alors, dans leurs nouvelles pièces également, à un exercice de traitement, de classification et d’interprétation de ces données dont ils dégagent des typologies de discours. C’est dans Forecasting (2011), le dernier volet de la trilogie, présenté notamment au Festival d’Automne à Paris en 2012, qu’intervient pour la première fois la plateforme de partage de vidéos YouTube. La pièce repose sur un dispositif simple : au centre de la scène, un ordinateur portable ouvert montre à l’écran des vidéos de tutoriels mis en ligne sur YouTube, où un usager de la plateforme se filme en train d’expliquer comment réaliser telle ou telle opération. Par souci de pédagogie, et en raison d’un procédé d’auto-enregistrement rudimentaire, le ca- drage se concentre généralement sur les mains qui réalisent l’action. Sur scène, d’abord placée derrière l’ordinateur, Bar
, bara Matijevic prolonge alors ces gestes, effectuant les mouvements dans la continuité spatio-temporelle de ce qui se joue àl’écran. Le laptop devient peu à peu un élément chorégraphique à part entière, manipulé par l’interprète : le corps prend le dessus, la situation fait oublier la position statique initiale. L’ordinateur devient préhensible et portable au sens propre, tandis que les deux réalités, celle tridimensionnelle du corps et celle bidimensionnelle de l’image, se chevauchent et fusionnent dans l’espace de la représentation.