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- Maryline Desbiolles Le Beau Temps Seuil, « Fiction& Cie »

Maurice Jaubert est compositeu­r. Maurice Jaubert est élégant, il est bel homme, il a le teint méditerran­éen, la voix chaude. Il y a des photos charmantes de lui. On le voit, cigarette aux lèvres, jouer du piano. Il lui arrive aussi de diriger un orchestre en polo à manches courtes. Maurice Jaubert a parfois composé de la musique que l’on dit populaire ainsi que des musiques de film où, le plus souvent, les moments tragiques étaient laissés au silence – ce silence préalable à la musique. Maurice Jaubert naît dans les premiers jours de 1900, à Nice. Il fait souvent beau à Nice. Avec ses palais, ses promenades, les fêtes costumées organisées par le génial Paul Tissier, sa vie mondaine, il se passe toujours quelque chose à Nice. Et justement, Jaubert ne quittera jamais vraiment sa ville entre mer et montagne. Enfance facile : il est « un peu trop bon élève », et deviendra, à 19 ans, le plus jeune avocat de France. C’est que notre héros ne sait pas faire les choses à demi, et la musique, bientôt, dominera le reste. Il y trouvera ses amis et ses soutiens les plus fidèles : des compositeu­rs comme Maurice Ravel – témoin de son mariage –, Marcel Delannoy, des peintres et des cinéastes, parmi les plus novateurs : Jean Renoir, Alberto Cavalcanti, Jean Vigo et Jean Lods (il faut revoir les films de Lods, l’un des premiers et des plus modernes documentar­istes). Bref, le Beau Temps de Maryline Desbiolles, c’est la vie de Maurice Jaubert, qui écrivit une trentaine de partitions pour des films, dont la plupart furent tournés par ses amis. Ils sont, pour certains, devenus des classiques : Nana, l’Atalante, Zéro de conduite, Drôle de drame, la Vie d’un fleuve, Quai des brumes. Le der

nier film s’appelle comme de juste le Jour se

lève. Il meurt quelques mois plus tard, en 1940. Une rafale de mitraillet­te lui a ouvert le ventre, sur un chemin, près d’un arbre, quelque part en Lorraine. Voilà. Puis, la postérité sera en partie assurée par François Truffaut qui utilisera quelques-unes de ses compositio­ns pour quatre de ses films. Et, dans la Chambre verte, le réalisateu­r a reconstitu­é un panthéon personnel, dans une chapelle, avec bougies vacillante­s et photograph­ies de ses chers disparus. Sur l’une d’elles, Maurice Jaubert en chef d’orchestre. Jaubert accompagna­it Truffaut, comme Jaubert accompagne Desbiolles. « Je marche avec Jaubert. Je soulève des pierres. Dessous, quelquefoi­s, se cache un menu trésor. J’avance ainsi, sans dessein, en m’accroupiss­ant de temps à autre pour scruter des brimborion­s révélés par la lumière. » Mais, plus loin dans le livre : « J’ai beau croire que mes pas s’emboîtent dans les siens, je me rends compte tout à coup que je ne sais pas non plus comment il rit, que je ne saurai jamais s’il dort sur le côté, ce qu’il aime manger, s’il préfère le vin blanc. » Au final, ce n’est pas grave, c’est comme une histoire d’amour qui se joue à distance. Au début de ce roman, de ce récit, de ce journal, Maryline Desbiolles écrit : « Une nuit, il se rappelle à moi. Je rêve que je marche avec lui. Il me tient par la main, je ne sais rien de sa vie, de sa mort, je marche avec lui. Je marche avec lui comme s’il n’était pas mort, comme si je ne connaissai­s pas la fin. Je marche aussi avec sa mort. » Alors, que raconte le Beau Temps ? Peut-être la collision du temps de l’écriture avec celui de la vie, de l’intimité de Maryline Desbiolles avec l’histoire de Maurice Jaubert. De fait, c’est un récit-rhizome. Les faits biographiq­ues s’infiltrent dans le travail d’écriture, les dates se conjuguent au présent, les rencontres d’hier deviennent des rencontres d’aujourd’hui et les acteurs des films des personnage­s de livres. Qui raconte quoi ? Est-ce la vie de Jaubert ? Celle de l’auteur ? Plutôt quelque chose qui lierait les deux histoires, qui tisserait un ordre amoureux. Desbiolles rencontre par hasard cet homme – un nom sur la façade d’un collège dans lequel elle est venue faire une lecture, à Nice – petit à petit, elle rassemble des informatio­ns, cherche des photograph­ies, des témoignage­s, écoute sa musique, regarde les films. Et puis, très vite, un acte de naissance. Un début d’histoire, donc. Viennent ensuite de véritables documents, une présence physique avec le passé de cet homme. Elle cherche, fait des demandes et reçoit du ministère de la Défense le compte rendu des dernières heures du soldat Jaubert et les véritables circonstan­ces de sa mort. Sur l’enveloppe, on a écrit « urgent ». Mais l’urgence n’est pas de savoir – on sait que Jaubert est mort depuis longtemps –, l’urgence est de pouvoir l’approcher, l’appréhende­r, au plus près. De le mêler à sa vie. De vivre avec lui. De le rendre ainsi un peu vivant, « je m’avance vers toi à pas de loup ». Le tutoiement, c’est la part de l’intime qui est dévoilée ici. L’intimité d’un homme que l’on retrouve grâce à l’écriture, l’intimité, c’est mêler sa vie à celle d’un homme que l’on apprend à connaître. « Je connais le dénouement, mais pas la fin du livre. » Voilà, c’est peut-être comme cela que vient l’écriture. Quand on côtoie son personnage, qui ne nous lâche pas d’une seule de ses semelles de vent et que l’on ne sait pas où il nous emmène. L’ultime partition de Jaubert s’intitule Saisir, il s’agit d’une pièce pour soprano, harpe, piano et orchestre à cordes composée sur cinq poèmes de Jules Superviell­e. Saisir. Le livre aurait pu s’appeler ainsi tant il retient, pour quelques pages, le souvenir de Maurice Jaubert, tant surtout il saisit le fil ténu qui lie un auteur avec son personnage. Comme un moment suspendu, un beau temps.

Alexandre Mare

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Maryline Desbiolles (Ph. Hermance Triay)

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