13e biennale d’art contemporain de Lyon
Divers lieux / 10 septembre 2015 - 3 janvier 2016
C’est dans un contournement adroit du mot « moderne », sujet proposé pour trois ans par Thierry Raspail, directeur de la Biennale, que Ralph Rugoff, directeur de la Hayward Gallery et commissaire de l’édition 2015, a intitulé sa biennale la Vie moderne. On aurait pu s’attendre à trouver des oeuvres d’artistes se confrontant à l’idée de la table rase, ou bien aux formes des avant-gardes – comme le font Farah Atassi, Raphaël Zarka ou Christian Hidaka (pour ne citer qu’eux car ils sont nombreux aujourd’hui à s’intéresser à ces sujets). Mais c’est un tout autre chemin qu’emprunte ici Ralph Rugoff, qui s’exclamait devant la presse au moment du vernissage : « Moderne, mais je déteste ce mot ! ». Entre amusement et sérieux, ce qui lui donne toute son élégance, sans ironie véritable ni dérision, il a un parti pris léger, presque provocant : à Lyon, la Vie moderne, c’est la vie d’aujourd’hui. Cette nouvelle édition dresse un vaste panorama du monde contemporain. Ralph Rugoff évoque avec justesse, les limites du format d’une biennale, et propose une liste d’artistes relativement modeste : une soixantaine. Il annonçait un fort rapport au passé et à l’histoire, ce que l’on retrouve certes ici et là dans les formes de George Condo, d’Avery Singer ou de Tatiana Trouvé. Mais ce sont surtout des thématiques très actuelles qui apparaissent : le rapport aux inégalités avec le grec Andrea Lolis et son abri de fortune en marbre, mais aussi les sculptures de femmes Rom d’Andra Ursuta, le rapport à l’argent avec un distributeur parlant de Camille Blatrix. Apparaissent également la question du postcolonialisme chez le congolais Sammy Baloji ; les nouvelles tech- nologies et des flux d’internet chez Simon Denny ; le temps et la vitesse avec le beau dialogue entre les peintures de déchets d’Ed Ruscha et les fragments de pneus ramassés sur l’A7 à Lyon et soclés par Mike Nelson ; les liens que nous entretenons avec l’au-delà à travers la vidéo d’Hannah Hurtzig avec la philosophe Vinciane Desprets ; la destruction de la nature et la définition de l’anthropocène avec la vidéo de Yuan Goang-Ming, tournée près de Fukushima après la catastrophe, et la poétique installation d’Hicham Berrada qui inverse le jour et la nuit. À la Sucrière, les perspectives sont belles, notamment celle qui dessine l’axe principal du bâtiment : on entre par une vaste installation du chinois Liu Wei, invitation à se perdre dans une évocation de la ville contemporaine, inquiétante et mystérieuse. Un paysage abstrait suspendu de Haegue Yang lui fait suite, image d’une ziggurat renversée inspiré par Structure With Three Towers (1986) de Sol LeWitt. Puis l’attention est attirée par un bruit, quelques noyaux de cerises qui rebondissent sur les peaux d’une batterie, dont la chute est animée par l’aura électromagnétique de nos téléphones : Céleste Boursier-Mougenot donne par là une image pleine d’humour d’un monde sensible gouverné par les technologies et la communication. Après un deuxième étage un peu moins nerveux, tant dans les oeuvres que dans l’accrochage, le troisième étage est particulièrement réussi, en particulier l’installation de dessins de Tatiana Trouvé. Au MAC, bâtiment dont l’architecture conduit naturellement à un accrochage plus sage, d’intéressantes synergies apparaissent entre certains travaux. Les salles sont pres- que toujours monographiques, et lorsque deux oeuvres sont directement confrontées, elles le sont avec justesse (par exemple George Condo et Cameron Jamie). La vidéo de l’Argentin Miguel Angel Rios évoque des espaces imaginaires, comme la magnifique installation de Laura Lamiel, et retentit encore dans nos mémoires lorsqu’on arrive dans l’installation d’Emmanuelle Lainé, image superbement déconstruite de l’atelier d’un artiste. Le bruit du monde émanant de l’installation de Darren Baden dialogue avec la sculpture sonore de Camille Henrot, hotline délirante qui souligne ironiquement que l’assistance que les serveurs téléphoniques nous proposent conduit souvent à la destruction de notre intimité. La peinture figurative a une place importante, notamment avec le kényan Michael Armitage inspiré à la fois par Gauguin et des faits divers à Nairobi. Les découvertes sont nombreuses, tout comme les nouvelles productions. Nombreux sont les artistes français ; ils présentent chacun des oeuvres fortes. Un ancrage dans la ville de Lyon apparaît même à plusieurs reprises : dans les performances de Marinella Senatore qui fait chanter à des malvoyants la célèbre chanson des canuts comme hymne de la Biennale ; chez Jeremy Deller et Cecilia Bengolea qui font danser des jeunes des cités dans la maison cossue de l’ancien adjoint à la culture, et chez Fabien Giraud et Raphaël Siboni qui ont réalisé un film lié aux révoltes des soyeux avec l’arrivée des métiers Jacquard. Hors des deux sites principaux, le programme Veduta est assuré pour la dernière année par Abdelkader Damani, son fondateur (appelé à diriger le Frac Centre). Il s’étend dans la périphérie de Lyon, dans l’espace urbain et chez les habitants. Appuyé comme toujours sur les collections du MAC, Veduta évoque cette année les éditions passées de la Biennale. C’est également le cas de l’exposition de Thierry Raspail, Ce fabuleux monde moderne, à l’Hôtel de Région. Dans un lieu périphérique non pas à la ville mais à la scène artistique contemporaine, une petite exposition, l’Ancien et les modernes se tient au musée Africain de Lyon, fondé par des missionnaires dans les années 1930. Outre de belles collections d’art africain, on y voit les travaux d’Ezra Wube, Sidi Diallo et Nedko Solakov (dont l’oeuvre appartient au MAC). D’autres lieux sont également ouverts pour la biennale : le couvent Sainte Marie de la Tourette avec une exposition d’Anish Kapoor, réponse de fait aux nauséabondes dégradations de Versailles ; l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne avec Rendez-vous, panorama de la jeune création en Rhône-Alpes et dans les biennales internationales (entre autres Dakar, Shanghai, Sharjah) ; la spectaculaire halle Girard spécialement ouverte pour le Palais de Tokyo qui y montrait un choix parmi les artistes ayant participé aux Modules cette année.
Anaël Pigeat