Lea Lublin
Lenbachhaus / 25 juin - 13 septembre 2015 Au milieu des années 1960, au moment même où elle commençait àrencontrer le succès commercial, Lea Lublin renonça à la peinture. Déçue par l'incapacité du médium à provoquer la participation active des regardeurs, elle se saisit de nouveaux moyens afin de déconstruire les processus culturellement déterminés du regard et de la vision. Au cours des trente années suivantes, Lublin métabolisa des pans entiers de la théorie de l’art et de la pensée psychanalytique dans des oeuvres féministes et des actions à la croisée des media. Cette première rétrospective rend intelligemment compte de son énergie et de son oeuvre subtile et incisive, dans toute leur ampleur. Comme pour faire table rase, le public est confronté dès l'entrée à Voir clair (1965), reproduction de la Joconde de Léonard de Vinci sous une plaque de verre. Les visiteurs étaient autrefois invités à pulvériser de l'eau sur sa surface puis à actionner des essuie-glaces, balayant du même geste la définition conventionnelle de l’oeuvre d'art. Lublin s'intéressait alors de plus en plus à la manipulation de peintures et de vidéos à l'intérieur d'écrans pénétrables physiquement et psychologi quement. Interrogations sur l'art (19721979, années 1990) invitait les visiteurs à engager la conversation avec elle à propos d'art tout en se regardant sur un écran. Pierre Restany figure dans l'un de ces entretiens, allongé comme sur le divan de l'analyste. À mesure que les dispositifs de Lublin devenaient de plus en plus étendus et engageaient davantage le public, son oeuvre devint plus perméable, plus violable. Une reconstruction de son importante installation Fluvio Subtunal (1969-2015), parcours sinueux conçu dans le but d'opposer « les concepts de nature et de technologie », serpente à travers le Kunstbau. Neuf zones savamment élaborées se succèdent sur 900 mètres carrés et éveillent diverses expériences sensorielles. Les compromis pratiques imposés par le site pour la reconstitution de l'installation (par exemple le remplacement du petit zoo de la Zone Nature par des photographies d'archives, pour n'en citer qu'un) réduisent l'ambition radicale de la proposition originale de Lea Lublin. Le trajet culmine dans le Fluvio Subtunal, tunnel de plastique clair représentant simultanément un phallus et un canal vaginal, qui aspire les participants d'un côté pour les recracher de l'autre grâce à la pression de l'air interne. L’oeuvre de Lublin met au premier plan à la fois le regardeur et l'artiste en tant que corps sensuels et désirants. Une série d'installations murales en relation avec son texte Le zizi des peintres (1983) redécoupe de façon stratégique des peintures de la Renaissance afin de montrer comment la figure érotisée de l'Enfant-Jésus trahit le désir refoulé des peintres pour la Vierge Marie. La combinaison de ces images avec les couleurs vives ou tempérées de l'avant-garde russe reconnaît, à juste titre, une autre forme de répression sexuelle dans l'appel de Malévitch à une « création non objective ». Déjà évoqué dans Voir clair, Marcel Duchamp réapparaît comme une figure-clé des oeuvres tardives dans lesquelles Lublin retrace son sé- jour à Buenos Aires en 1918-1919. La dernière oeuvre présentée est l'éloquente sculpture Le corps mer (à-mère) (1995), urinoir de porcelaine à l'intérieur d'un torse de femme en verre. L’oeuvre originale, disparue il y a longtemps, refait opportunément surface pour la rétrospective sous la forme d'une projection.
Amanda Sarroff Traduit par Laurent Perez
In the mid-1960s, on the cusp of commercial success, Lea Lublin renounced painting. Disenchanted with the medium’s incapacity to catalyze viewers into active participants, she pursued new means to deconstruct culturally informed processes of looking and seeing. Over the next thirty years Lublin metabolized swathes of art theory and psychoanalytic thought into feminist works and actions across media. The breadth of her energy and output in all its incisiveness and wit is captured thoughtfully in this first retrospective. As if to wipe the slate clean, Voir Clair (To See Clearly, 1965), a reproduction of Leonardo’s Mona Lisa covered in glass, confronts the visitor upon entry. To wash away received notions about the artwork, viewers were once invited to squirt water onto its surface and then activate a set of wipers. Lublin increasingly manipulated paintings and video into physically and psychologically penetrable screens. Interrogations sur l’art (Interrogations into Art, 1972–79, 1990s) invited passers-by to engage in conversations with her about art while observing themselves on a video feedback loop. Pierre Restany figures in one such interview, reclining as though on the analyst’s couch. As Lublin sought more expansive environments to engage audiences her work became more permeable, more violable. Wending its way through the Kunstbau is a reconstruction of her seminal installation Fluvio Subtunal (1969/2015), a serpentine parcours conceived to oppose “concepts of nature and technology.” A succession of nine elaborately plotted Zones spanning 900 square meters awakened different sensorial experiences. Practical concessions made in the current site-specific iteration (the substitution of a live petting zoo in the Nature Zone with an archival photograph, to name just one) belie the sheer ambition of Lublin’s original endeavor. The path culminates in the Fluvio Subtunal, a clear plastic tunnel that is simultaneously phallus and vaginal canal. It uses internal air pressure to suck participants in on one side and expel them through another. Lublin brought to the fore both viewer and artist as sensual, desiring bodies. A series of wall installations related to her text “Le zizi des peintres” (The Painters’ Pee Pee, 1983) strategically cropped Renaissance paintings depicting the Madonna and child to expose male artists’ taboo lust for the Virgin Mary embodied by an eroticized infant Jesus. Combining these images with the bold, mute colors of the Russian avant-garde deftly invoked Malevich’s claim for “non objective creation” as yet another form of sexual repression. Presaged by Voir Clair, Marcel Duchamp reappears as a pivotal figure in Lublin’s later works that retrace the steps of his 1918–1919 sojourn in Buenos Aires. Lublin’s final artwork on view is her telling sculpture Le corps mer (a-mère) (The Bitter Body [The Mother’s Body], 1995), a porcelain urinal contained within a glass female torso. The original work shattered long ago but it resurfaces in the retrospective, fittingly, as mere projection.
Amanda Sarroff