Nourritures célestes
Forms of speculation
L’une des belles innovations dans le redéploiement des collections historiques au 5e étage du Centre Pompidou, ce sont toutes ces salles qui ponctuent le parcours et qui sont consacrées à des poètes, romanciers, critiques qui ont accompagné avec leurs écrits les pionniers de l’art moderne. Qui ont dialogué avec eux et qui les ont défendus, qui ont rendu manifeste que l’invention des formes est une relance de la pensée. Ce sont des personnalités aussi diverses que Georges Duthuit, Jean Paulhan, Blaise Cendrars, Georges Bataille, Pierre Restany ou Michel Ragon… Sortant d’une visite de ces collections, je n’ai pas pu m’empêcher de faire ce constat : la place que le musée accorde à l’écrit (et qui démontre la richesse de son fonds d’archives conservé à la Bibliothèque Kandinsky) est inversement proportionnelle à celle qu’une foire d’art comme la Fiac, par exemple, concède parcimonieusement aux revues. Aux stands que celles-ci traditionnellement y installaient, s’est substitué depuis plusieurs années un étroit mètre carré, qui n’est d’ailleurs accordé que parce qu’il sert de petite monnaie à la foire pour obtenir en échange un encart publicitaire dans ces revues. Mètre carré où les revues, certaines d’entre elles en tout cas, essaient tant bien que mal de montrer que les mêmes oeuvres qui font l’objet de spéculation financière peuvent aussi être les objets d’une spéculation bien plus accessible à tous quoi qu’on en dise, l’intellectuelle. Nous avons ici même suffisamment critiqué le Centre Pompidou et son musée pour ne pas être attentifs aujourd’hui à ses promesses. Un nouveau président, Serge Lasvignes, qui dit souhaiter revenir aux fondamentaux du Centre, c’est-à-dire au bon fonctionnement de sa pluridisciplinarité et à sa capacité de prendre part aux débats de société, une équipe du musée qui, sous la direction de Bernard Blistène, entreprend un travail de fond, garant des choix qui s’opèrent dans l’actualité. Dans l’interview que Bernard Blistène nous a accordée, nous évoquons l’exposition Wifredo Lam, peintre qui a entretenu un lien étroit avec la littérature (de même qu’Anselm Kiefer d’ailleurs dont l’exposition n’était pas encore ouverte au moment de cet entretien). Sans doute, l’oeuvre de Lam, quelle que soit sa qualité, n’égale-t-elle pas pour autant celle de Picasso. Mais Jeff Koons, copieusement servi l’année dernière à Beaubourg, n’est pas plus Warhol. On peut même dire qu’il a interprété littéralement la superficialité de l’artiste pop, chez qui elle était le masque d’une compréhension profonde de la société. Bien que les rôles des musées et des foires d’art ne soient certes pas les mêmes, artpress a toujours tenté, sans préjugé, de suivre autant les uns que les autres, accompagnant ainsi la Fiac depuis ses tout débuts. Mais faut-il désormais se résoudre à un monde de l’art où, tandis qu’artistes, critiques, conservateurs et amateurs continuent de s’alimenter à toutes les sources de la pensée, le marché, lui, ne se nourrirait plus que de lui-même ?
Catherine Millet One of the finest innovations in the redeployment of the historical collections on the fifth floor of the Pompidou Center are the rooms that intersperse the visual displays with exhibits about the poets, novelists and critics who wrote about and championed modern art, figures as diverse as Georges Duthuit, Jean Paulhan, Blaise Cendrars, Georges Bataille, Pierre Restany and Michel Ragon. In dialoguing with artists they showed how the invention of forms can also mean inventing new ways of thinking. On my way out of the museum, I couldn’t help thinking that the prominence it allows to written expression (reflecting the richness of the archives held at the Bibliothèque Kandinsky) is inversely proportional to the meager space that an art fair like, say, the FIAC, allows for magazines. Where once these had their own booths, they now have a narrow square meter, and even that is granted only because it can be bartered for advertising inserts in said magazines. Anyway, in their square meter these reviews, or at least some of them, try to show that the same works that are the object of financial speculation can also be the object of a speculation that, whatever people may say to the contrary, is more accessible: intellectual speculation. We have been sufficiently critical of the Pompidou and its museum in the past not to respond positively to its current promise. The center’s new president, Serge Lasvignes, says he wants to get it back to basics, to an effective, multi-disciplinary approach and to playing a responsive role in current social debate. The new museum team, led by Bernard Blistène, is doing the kind of in-depth work on the collection that lays a foundation for clear choices in the present. In the interview published here, Blistène talks about the upcoming Wilfredo Lam exhibition. Lam is a painter whose work had a very close relation to literature (as indeed does Anselm Kiefer, whose exhibition had yet to open when the interview was given). For all his qualities, Lam is certainly no Picasso. But then nor is Jeff Koons, who was given the honors at Beaubourg last year, anywhere near Warhol. One could even say that he offers a literal interpretation of Warhol’s superficiality, which was the mask for a much deeper understanding of society. Although the roles of museums and art fairs differ, artpress has always tried, without prejudice, to follow both, and has reported on the FIAC ever since its foundation. But must we resign ourselves to an art world where, while critics, curators and connoisseurs feed on all forms of thought, the market feeds only on itself?
Catherine Millet Translation, C. Penwarden