Après Éden
Maison rouge / 17 octobre 2015 - 17 janvier 2016 Pour sa treizième exposition consacrée à des collections particulières, la Maison rouge a invité Artur Walther, dont la collection de photographies a paradoxalement des allures d’institution. Présentées dans deux lieux, en Allemagne, dont Walther est originaire, et à New York, les expositions de la collection, confiées à des commissaires tels Okwui Enwezor ou Brian Wallis, s’inscrivent dans des programmes de recherche pluriannuels et sont accompagnées de gros catalogues scientifiques. C’est pourquoi, Après Éden, « expositionfable », métaphorique, composée de « fictions », promettait un regard neuf. Elle est souvent remarquable, même si la subjectivité revendiquée du commissaire Simon Njami n’est sensible qu’à la marge, tant les choix du collectionneur sont affirmés et raisonnés. Sans doute était-il impossible de ne pas souligner la prédilection d’Artur Walther pour les oeuvres systéma- tiques, sérielles ou séquentielles, ni son tropisme pour la photographie africaine ou encore sa méthode. Cette dernière consiste à collectionner « en profondeur » les artistes qu’il retient et à favoriser des rapprochements entre des oeuvres produites en des temps et dans des lieux différents. Après Éden juxtapose ainsi soixante portraits incarnant des professions ou des statuts sociaux réalisés en Allemagne entre 1914 et 1929 par August Sander et des portraits de studio pris par Seydou Keïta au Mali dans les années 1950-1960. Si les images se répondent – les plus flagrantes figurant trois paysans allemands endimanchés et trois dandys africains –, c’est parce qu’elles sont les unes et les autres produites dans des contextes similaires de transformation sociale que la photographie accompagne d’une manière alors inédite. À l’inverse, certains rapprochements jouent de la tension. On découvre ainsi qu’en 1954 les Ja- ponais Yoshikazu Suzuki et Shohachi Kimura ont produit, à des fins documentaires, un livre-accordéon sur un quartier commercial de Tokyo, avec un systématisme et une maquette annonçant Every Building on the Sunset Strip d’Ed Ruscha, de douze ans postérieur. Pourtant, les meilleurs moments de l’exposition se concentrent sur la photographie africaine. Leurs thèmes – le paysage, l’identité ou l’archive – font écho aux trois premières expositions présentées en Allemagne. Comme Artur Walther acquiert en prévision des expositions, ces sections sont ici d’une grande richesse. À tel point que le thème du paysage donne quasiment lieu à de solides expositions monographiques des Sud-Africains David Goldblatt et Santu Mofokeng qui soulignent combien ces paysages sont politiques. Accueillant des travaux plus ouvertement militants, celui de l’identité comprend notamment les mises en scène de Rotimi Fani-Kayodé, Nigérian exilé et gay, qui, datées des années 1980, n’ont rien perdu de leur puissance disruptive. Mais on retiendra surtout la salle exceptionnelle qui confronte les travaux d’artistes contemporains aux photographies ethnographiques et racistes de la fin du 19e et du début du 20e siècle, dont Artur Walter possède plusieurs albums. Ces clichés, dans tous les sens du terme, ne résistent pas aux assauts et détournements de Candice Breitz, Pieter Hugo ou encore Zanele Muholi. For its thirteenth exhibition of a private collection, Maison Rouge has invited Artur Walther, creating a paradoxically museum-like quality. The collection is regularly shown in Germany, where Walter was born, and New York, with selections chosen by curators of the stature of Okwui Enwezor and Brian Wallis. These shows are part of a longterm research project and are accompanied by thick scholarly catal. Après Éden, a metaphorical “fable exhibition” composed of “fictions” promised to let us see the collection with new eyes. The result is often remarkable, even if the personal curatorial standpoint of Simon Njami is barely evident because of the collector’s own consistent and explicit choices. Certainly there was never any chance that this show would not bring out Walther’s predilection for systematic work (series and sequences) and African photography, and his approach, i.e., collecting work by his preferred artists in depth and privileging the similarities between work done in different places and times. Après Éden juxtaposes sixty portraits by August Sander typifying professions or social status taken in Germany from 1914 to 1929, on the one hand, and on the other studio portraits Seydou Keïta took in the 1950s and 60s. The two ensembles co-resonate because both were produced during similar eras of social transformation that these men tried to capture in a way that had never been done before. (The most notable correspondence is between three German peasants wearing their Sunday best and three African dandies.) But some of the parallels are more fraught. The layout and approach seen in the foldout photo album documenting a Tokyo shopping district made in 1954 by Yoshikazu Suzuki and Shohachi Kimura prefigures Ed Ruscha’sEvery Building on the Sunset Strip a dozen years later. The exhibition’s highlights come when it focuses on African photography. The chosen themes—landscape, identity and archives— follow the same scheme as the first three shows held in Germany. Since Walther tends to collect with future shows in mind, these three sections are extraordinarily rich. So much so that the landscape theme comprises what are almost solid monographic shows of work by South African photographers David Goldblatt and Santu Mofokeng, for whom these landscapes are political. The identities section is even more openly engaged. The staged photos of the gay Nigerian exile Rotimi FaniKayodé, dating to the 1980s, have lost none of their disruptive power. But the exhibition’s most memorable moment comes in a room where contemporary photographers are set side by side with racist ethnographic pictures from the late nineteenth and early twentieth centuries, also from Walter’s holdings. These pictures fail to stand up to the assaults and subversion of Candice Breitz, Pieter Hugo and Zanele Muholi.
Translation, L-S Torgoff