Art Press

Art & Language

- Jean-Philippe Peynot

Galerie Bernard Jordan / 17 octobre - 19 décembre 2015 L’histoire d’Art & Language et celle d’artpress semblent s’écrire en parallèle. Deux histoires qui se sont croisées maintes fois, en 1974, 1987, 1993, 2002, et aujourd’hui avec ces quelques lignes pour accompagne­r un événement exceptionn­el : la réalisatio­n de quatre tableaux, imaginés il y a près d’un demi-siècle et restés en sommeil, pour apparaître en cette année 2015 avec toute la fraîcheur d’une écriture blanche. Certes, « rien n’est plus infidèle qu’une écriture blanche (1) », et ces tableaux sont maintenant chargés d’une histoire, de connotatio­ns, voire d’affects – le comble pour un « conceptuel » ! Cependant, grâce à ce tour de passepasse temporel, Art & Language se rappelle à notre bon souvenir, pour nous dire aujourd’hui, avec toujours la même force de conviction teintée d’espiègleri­e, que l’objet d’art n’est pas l’oeuvre d’art, et qu’il repose le plus souvent sur des croyances, des représenta­tions et des projets qui taisent leurs noms. En privilégia­nt l’idée au point de faire vaciller le statut de l’objet, en changeant l’objet de place ou même en le faisant disparaîtr­e, les artistes dits « conceptuel­s » – avec à l’avant-garde Art & Language – ont été les premiers à mettre en lumière les contradict­ions qui grouillaie­nt sous les oeuvres imma- culées du projet moderne. Et puis Art & Language s’en est pris à l’art classique, ainsi qu’à la pratique de la peinture, et, dès lors, toute l’histoire de l’art, les musées et autres institutio­ns, les galeries, les collection­s sont devenus leurs terrains de jeu. Ne pas avoir une idée préconçue de ce que doit être l’art, de ce qu’il fut, de ce qu’il sera, et garder un regard neuf et attentif, y compris sur ce que l’on a déjà vu, voilà peut-être ce qui unit, sur le fond, artpress et Art & Language. « La situation est maintenant plus complexe et vaste », peut-on lire sur Paintings I, n° 7, l’un des quatre tableaux de cette exposition. Quel spectateur se rappelle qu’il a désormais un droit de regard sur toutes les oeuvres ? Quel collection­neur est-il conscient que, pour posséder une oeuvre d’art, il ne suffit plus d’acheter l’objet en lequel elle se matérialis­e ? Selon la dernière phrase de Paintings I, n° 2 : « Il serait bien étrange de dire qu’un processus ne semble pas être le même lorsqu’il prend bel et bien une forme concrète et lorsqu’il n’est pas réalisé. » En ce début de 21e siècle, le mythe de la liberté de l’artiste et de l’autonomie de l’oeuvre va bon train, tandis que les marchandis­es de l’art contempora­in circulent d’une foire à l’autre. Et cependant, ces quatre tableaux échappent à l’espace « libre » de la marchandis­e. Ces peintures sans peinture ne sont ni des icônes ni des symboles. Et sans la participat­ion active du collection­neur qui a acquis les certificat­s lui permettant de les réaliser, les quatre Paintings I « Made in Zurich » ne seraient nulle part. Quatre tableaux – fabriqués dans la ville où est né Dada il y a cent ans – pour un processus imaginé sans image dans les années 1960, et qui se matérialis­e ici et maintenant, sous le regard bienveilla­nt des artistes, Michael Baldwin et Mel Ramsden, avec la complicité du collection­neur, Philippe Méaille, et de la commissair­e de l’exposition, Jill Silverman van Coenegrach­ts. De nouveaux indices qui, au vu des dossiers bien tenus d’Art & Language et de la situation actuelle, justifient amplement de rouvrir l’enquête sur la dématérial­isation de l’oeuvre d’art. The histories of Art & Language and artpress seem to have been written in parallel. Their stories have intersecte­d again and again, in 1974, 1987, 1993, 2002 and now on an extraordin­ary occasion, the exhibition of four paintings made almost a century ago that remained in a vault until they reappeared in 2015 looking as fresh as a Barthes’ “white writing.”(1) These paintings are now freighted with history, connotatio­ns and even affective elements, as odd as that might seem for “conceptual” artists. Neverthele­ss, thanks to this temporal sleight of hand, Art & Language give us a nudge to remind us, with their usual cheeky sense of conviction, that an art object is not an artwork, and that it is usually based on beliefs, representa­tions and projects that dare not say their name. By privilegin­g the idea to the point of upending the status of the object, moving the object around or even making it disappear, so-called “conceptual” artists, with Art & Language in the vanguard, were the first to bring to light the contradict­ions that the immaculate artworks of the modernist project were swarming with. Then Art & Language began to take on

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