La Pipe d’Oppen
Actes Sud Aujourd’hui, pour beaucoup, Paul Auster est une « star » des lettres newyorkaises, qui écrit des romans souvent un peu faciles et formatés. Il n’en a pas toujours été ainsi. Il signa dans les années 1980 des livres qui nous ont impressionnés, telles sa Trilogie new-yorkaise ou son extraordinaire Invention de la solitude. En témoigne aussi la Pipe d’Oppen – le titre est un hommage à son ami Georg Oppen – qui regroupe une quinzaine de textes de Paul Auster lecteur et critique de Jacques Dupin, André du Bouchet, Georges Perec, Alain RobbeGrillet… mais aussi d’Edgard Poe ou de Nathaniel Hawthorne. Ce bref recueil est un livre tout en élans de sincérité, d’intelligence, de culture, qui nous fait, par exemple, découvrir un Hawthorne privé, historien de la vie quotidienne, l’écrivain du passé dont Auster se sent le plus proche. Auster évoque aussi le merveilleux livre de Joe Brainard, I Remember, qui a inspiré Perec pour Je me souviens. Perec dont il admire la combinaison, dans son oeuvre, de l’innocence et de la plénitude. Plus que l’ingéniosité de son écriture, ce sont l’humour et la compassion de Perec qui le bouleversent. Est aussi décrite ici la belle amitié avec Jacques Dupin, quand le jeune Auster vivait si pauvrement à Paris. Dupin l’aide concrètement certes, mais aussi à penser l’écriture, cette obsession. Autre amitié stellaire : celle qui l’unit à André du Bouchet, beaucoup plus chaleureux que ce que lui avait dit la rumeur. La découverte de l’oeuvre de Robbe-Grillet et la rencontre de l’homme, avec qui il ne cesse de rire, furent décisives également. Dans le dernier texte de cet ensemble varié, Paul Auster s’affirme pleinement optimiste quant à l’avenir du roman qu’il présente comme un lieu rare pour un échange entre deux inconnus. Optimisme ô combien séduisant. De Beyrouth au Caire, de Damas à Jérusalem, ce roman graphique de Lamia Ziadé plonge dans la splendeur disparue du monde arabe chantant et exaltant de la première moitié du 20 siècle, avec pour toile de fond la chute de l’empire ottoman, les guerres, les révolutions, la lutte anticoloniale et la nationalisation du canal de Suez. Popularisés par une radio omniprésente et l’impact grandissant du cinéma, chanteurs, chanteuses et danseuses connaissent des succès vertigineux auprès du public des pays arabes et font souffler un « vent irrésistible » d’une extrême liberté suscitant les plaisirs du corps, du coeur et de l’esprit « que rien ne semble pouvoir entraver, ni la société, ni la religion, ni la famille, ni les traditions ». Asmahan et Oum Kalthoum, deux figures, deux voix éblouissantes dominent cette effervescence dont le foyer d’une redoutable vitalité est Le Caire, « ville de tous les possibles ». La première ne conçoit sa vie que tourmentée, trépidante, aventureuse, rebelle à toute norme et à toute convenance. Sa mort, à 32 ans, dans un accident de voiture, reste aujourd’hui encore mystérieuse. La seconde incarne un idéal fait d’équilibre et d’harmonie. Son art a pour elle la force d’un engagement qui l’élève, avec la révolution égyptienne de 1952, à la hauteur du destin de son peuple. Bien ajusté entre textes incisifs, ciselés et emboîtés les uns dans les autres, et dessins à la gouache d’une fraîcheur saisissante, Ô nuit, Ô mes yeux a l’ampleur d’un mouvement pénétrant, suave, chaudement coloré, tantôt grave et tantôt léger. Il se clôture « dans la nuit noire, celle du deuil, de l’exil et de la guerre », celle aussi des années 1980 où plusieurs chanteuses, actrices et danseuses prennent le voile en échange de mallettes remplies de centaines de milliers de dollars.