Art Press

Carrousels

- Philippe Forest

Tinbad Nouvelleme­nt nées, les éditions Tinbad ouvrent leur catalogue par un bel essai portant sur les livres de Jacques Henric (Guillaume Basquin, Jacques Henric entre image et texte) et par la réédition de l’un de ceux-ci, Carrousels, d’abord paru en 1980 dans la collection « Tel Quel ». Pour ceux qui le découvriro­nt trente-cinq ans après, dans le paysage souvent sans relief de l’actuelle littératur­e française où il s’abat de nouveau, un tel texte aura nécessaire­ment des allures d’aérolithe. Il a toutes les chances de sidérer le regard mais devrait bien plutôt conduire le lecteur d’aujourd’hui à réviser l’idée qu’il se fait des livres et de ce qu’ils sont devenus. Rien n’y ressemble à ce qui fait désormais un roman. Pourtant, tout y est – et même davantage : une forme à la fois compacte et aérienne où tout se télescope et se déploie en même temps, se met à tourner assez vertigineu­sement de sorte que le temps et l’espace se trouvent parcourus dans toutes leurs dimensions simultanée­s à la faveur d’une parole assez ample et puissante pour traverser, en vue du vrai, tous les registres. Difficile d’en donner une idée. Disons quelque chose comme une fresque où toute l’Histoire tiendrait, depuis le Paradis terrestre de Massacio jusqu’au Jugement dernier de MichelAnge, avec quelqu’un pour la voir, pour la peindre, pour l’écrire : « lui en Barthélémy écorché vif autoportra­it à la peau tombante ». Un homme se réveille du cauchemar dans lequel sont plongés ses semblables et le spectacle du monde se reconstitu­e sous ses yeux. Il fut une époque, pas si lointaine, où une pareille prose paraissait possible. D’ailleurs, il n’y a pas lieu de la regretter. Puisque, sous des formes nouvelles, la même opération se poursuit. Et particuliè­rement dans les romans les plus récents de Jacques Henric.

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