Robert storr
New york
J’ai appris par des amis dignes de foi que l’actuelle exposition Warhol Unlimited au musée d’art moderne de la Ville de Paris (jusqu’au 7 février 2016) présente un accrochage réellement exceptionnel de ses Shadow Paintings, oeuvres tardives et encore trop sous-évaluées. Andy adorait l’art déco : sur la surface pratiquement ininterrompue des parois du musée, qui s’incurvent au lieu de s’arrêter net à l’approche des angles, l’effet doit être somptueux. Comme j’aimerais pouvoir traverser l’océan pour venir les voir ! Malheureusement, je ne le peux pas. Ce bref texte étant pour partie fondé sur des ouï-dire, et pour partie sur des conjectures dictées par mon seul plaisir, il ne saurait donc d’aucune manière être considéré comme un compte rendu de cette exposition. Il s’agit néanmoins bel et bien d’un commentaire informé d’oeuvres dont je suis familier pour y avoir été confronté à de nombreuses reprises, encore dernièrement lorsqu’une petite sélection d’un vaste ensemble de cent deux toiles fut présentée à l’Arts Club de Chicago il y a quatre ans. Peinte en 1978, cette imposante série compte parmi les moments les plus marquants du dialogue riche et sans concession entretenu par Warhol avec l’abstraction de l´École de New York dans sa variante transcendantale Rothko-Newman. Côté Rothko, la contre-proposition warholienne présente des contours indistincts et évocateurs ; côté Newman, une structure reposant sur une spectaculaire division de l’espace, bien que celle-ci observe des lignes obliques plutôt que verticales ou horizontales. Cela étant dit, abstraction faite de la touche démonstrativement broussailleuse de certains de ses derniers portraits, le cadre de référence de Warhol est moins celui de l’expressionnisme abstrait que de traditions bien plus anciennes de la peinture occidentale. Dès le début, Gold Marilyn (1962) écartait l’imagerie pop au profit d’un fond doré évoquant les primitifs italiens. Les Shadows complètent la trajectoire en faisant appel au clair-obscur et aux profondeurs infinies du haut baroque. À ceci près que les ombres de Warhol sont explicitement, voire polémiquement, superficielles et sans mystère, et que leur capacité à suggérer d´héroïques volumes sculpturaux est par conséquent a priori absolument nulle. Ce qui est cohérent avec le refus catégorique opposé par Warhol à toute forme de profondeur, lui-même le résultat d’une hostilité non dissimulée envers la conception romantique de l’artiste comme incarnation exemplaire de la profondeur et de la complexité psychologique.