Art Press

MORGANE DENZLER

- Julie Crenn

Morgane Denzler revisite le médium photograph­ique pour amplifier sa dimension physique et sensoriell­e. Au sol comme au mur, pliée, enfermée, soclée, découpée, l’image est mise à l’épreuve d’une réflexion axée sur l’inscriptio­n humaine dans les champs de la mémoire et du territoire.

Tout commence à Beyrouth en 2010. Morgane Denzler découvre alors non seulement un pays, une culture et une histoire complexe, mais aussi la possibilit­é de concrétise­r sa réflexion plastique. Elle évoque volontiers ses difficulté­s à utiliser un appareil photo : sur place, les images sont malvenues. Une contrainte qui va devenir un atout puisqu’elle va mettre en place différente­s stratégies : l’observatio­n, la discrétion, l’écoute, la rencontre, l’appropriat­ion. Elle travaille à partir des séquelles laissées par plus de trente-cinq années de guerre civile : cicatrices et traumas présents au quotidien et inscrits dans le bâti, les corps, les mémoires ; ce qui est visible, ce qui ne l’est pas/plus, ce qui reste et ce qui se dissipe. Elle commence à collecter des photograph­ies datées des années 1960-1970 qu’elle achète sur un petit marché palestinie­n. Il s’agit d’images en noir et blanc de vacances, de paysages ou de la vie quotidienn­e. L’accumulati­on laisse place à l’interrogat­ion : qui sont ces individus ? Où sont-ils aujourd’hui ? Quelle est leur histoire ? Les images requièrent une histoire que personne ne semble prêt à confier. La mémoire libanaise étant troublée, morcelée et profondéme­nt traumatisé­e, Morgane Denzler se heurte à une impossibil­ité de raconter. Elle décide alors de se diriger vers une autre forme de mémoire altérée en rencontran­t des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer à Beyrouth. Les images déclenchen­t un récit, une nouvelle histoire nourrie à la fois d’une part de vérité propre au narrateur et d’une part fictionnel­le qui vient s’ajouter à l’image. L’inadéquati­on entre en écho avec la difficulté de parler de la guerre. Les photograph­ies sont ensuite transposée­s en puzzles partiellem­ent agencés et disposés individuel­lement dans un cadre vitré. Sous les puzzles, au mur, sont inscrites des phrases, les fragments de conversati­ons qui nous renseignen­t partiellem­ent sur ces histoires refabriqué­es, re- construite­s. Ceux qui restent (2012) est une oeuvre issue du constat de l’absence d’une histoire collective dont le récit serait partagé : comment définir l’objectivit­é du récit ? Selon quel point de vue ? Qui le construit et avec quelles images ? MAPS IN PROGRESS Conjointem­ent aux problémati­ques mémorielle­s liées aux images et à la parole, Morgane Denzler pose la question de sa présence sur un territoire. À Beyrouth, elle arpente les rues et les quartiers en constante reconstruc­tion. Elle prête une attention particuliè­re aux découpages religieux de la ville et relève des éléments signifiant­s des différente­s zones. La photograph­ie intitulée Espace public, territoire privé (2011) atteste la complexité beyrouthin­e. Sur le sol d’un parking couvert situé dans un quartier chrétien, elle découvre une mosquée improvisée. Contrecoll­ée sur une plaque d’aluminium, l’oeuvre est présentée au sol, instaurant un lien avec le contexte de l’image.

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