Providence
Musée international des arts modestes / 4 décembre 2015 - 22 mai 2016 À 200 miles au nord de New York, la ville de Providence fut au tournant des années 2000 le théâtre d’une contre-culture florissante, centrée autour du collectif Fort Thunder. Cette cohorte d’artistes outsiders, issus pour la plupart de la Rhode Island School of Art and Design, réquisitionne en 1995 un entrepôt de textile abandonné des faubourgs de la ville. Rebaptisée Fort Thunder, cette friche industrielle se mue en une sorte de Factory de la génération X, abritant concerts noise, performances et graphisme d’avant-garde. C’est dans ce laboratoire sauvage qu’écloreront de multiples talents, pas toujours reconnus à leur juste valeur par le monde de l’art, mais bénéficiant d’un solide réseau underground international : celui des microéditions, des comics et autres graphzines. Avec un commissariat assuré par Jonas Delaborde, l’exposition du Musée international des arts modestes en présente un éventail plus prospectif que rétrospectif, les oeuvres sélectionnées témoignant surtout de l’évolution de ces artistes depuis leur éviction du lieu en 2002. Topographie de Providence autant que pérégrination dans l’imaginaire de ses artistes, l’exposition est placée sous les auspices de Howard Phillips Lovecraft, celui qu’on surnomma « le reclus de Providence », et qui demeure, aux côtés d’Edgar Allan Poe, l’icône de cette ville minée par le déclin post- industriel. Sa mythologie démoniaque, qui continue de fertiliser l’imaginaire contemporain, en forme la matrice. On en décèle des réminiscences aussi bien dans les diagrammes fluorescents de Ben Jones que dans les totems de Leif Goldberg ou les collages aux couleurs saturées de Brian Chippendale, batteur du groupe Lightning Bolt. Les tapisseries Op’art d’Ara Peterson ou les grigris chamaniques de Marie Lorenz réhabilitent de leur côté les pratiques artisanales, flirtant intentionnellement avec le mauvais goût. Plus composites, les installations de Christopher Forgues (ou CF) s’articulent autour de rebuts technologiques et de dessins de sciencefiction, tandis qu’à l’étage se déploient notamment les pages de l’influent fanzine Paper Rodeo et les illustrations de Mat Brinkman, revisitant l’esthétique régressive de l’heroic fantasy. On comprend ce qui a incité Hervé Di Rosa, fondateur du Miam et artisan de la Figuration libre, à se pencher sur cette communauté farouchement alternative qui s’inscrit dans la lignée d’autres collectifs notoires, comme le groupe Ecart, Destroy All Monsters, General Idea, la revue RAW ou encore Bazooka. Cet esprit d’hybridation et de décloisonnement des pratiques passe ici par la réappropriation ou le détournement de subcultures populaires (jeu de rôles, animation 3D, bande dessinée, tissage, papier peint), comme pour mieux en exalter les « champs de force » et les flux d’énergie sous-jacents. À la fois primitifs et futuristes, ces artistes exacerbent la dimension hallucinatoire de la pop culture, avec une obsession récurrente pour les scories de la société de consommation et les décombres du monde « civilisé ». Visionnaires, sans aucun doute. At the turn of this century, the town of Providence, Rhode Island, some 200 miles north of New York City, was the setting for a flourishing counterculture whose epicenter was a floor in an abandoned textile factory rebaptized Fort Thunder. The group of artists who lived and worked there, mostly former students from the Rhode Island School of Art and Design, took over locations in the former mill district in 1995. Fort Thunder became a genX version of Warhol’s Factory, hosting concerts, performances and the production of posters, comics and other very fresh graphic art. The many talents that blossomed in that underground scene were not always given due recognition by the art world, but they enjoyed a solid support network internationally among alternate comics and graphzine publishers and consumers. The exhibition curated by Jonas Delaborde at the Musée International des Arts Modestes entitled Providence Fracas psychédélique en Nouvelle Angleterre is not so much a retrospective of the period before their 2002 eviction as a survey of work demonstrating their subsequent evolution. A topography of Providence as well as a peregrination through the imaginative world of these artists, the exhibition truly captures the psychedelic effervescence in that legendary squat. The residents didn’t just happen to live in the same post-industrial city that was once home to H. P. Lovecraft, known as “the hermit of Providence”: his spirit dwelled among them. Edgar Allan Poe was also known to have visited Providence. Lovecraft’s demonic mythology, which like Poe’s still haunts the minds of artists today, provides the matrix for this exhibition. It’s there in the fluorescent diagrams by Ben Jones and in the totems by Leif Goldberg or the saturated colors of the collages made by Brian Chippendale, drummer of the group Lightning Bolt. The Op Art tapestries of Ara Peterson and the shamanic grigris by Marie Lorenz rehabilitate more artisanal approaches, playing deliberately with bad taste. The more composite installations from Christopher Forgues mix techno junk and sci-fi drawing. Upstairs, pages from the influential fanzine Paper Rodeo and illustrations by Mat Brinkman revisit the regressive heroic fantasy aesthetic. It’s easy to see why MIAM founder and Figuration Libre painter Hervé Di Rosa was interested in this vibrantly alternative community which has an evident kinship with other famous collectives such as Ecart, Destroy All Monsters, General Idea, RAW and Bazooka. The same hybrid spirit is evident here in the appropriation of pop and pulp cultures (role plays, 3D animation, comix, weaving, wallpaper), excavating and whipping up their underlying energy. At once primitive and futuristic, these artists heighten the hallucinatory aspect of pop culture as they pick over the dross of consumer society and the rubble left behind by the “civilized” world. Visionary stuff, indeed.
Translation, L-S Torgoff