Corita Kent
Galerie Allen / 10 décembre 2015 - 25 janvier 2016 Des dragons en carton coloré dans un cortège, portés par des enfants, par des Américains blancs de la middle class, par des jeunes gens parés de couronnes de fleurs. Des slogans de paix, d’amour pour son prochain, fichés sur des bâtons et brandis bien haut, sont sérigraphié – sacrément bien fichus graphiquement. Ça a le goût de la pop culture, la couleur des rassemblements hippies, mais ce n’est pas une fête d’avant festival pop californien. C’est une simple marche pour la paix menée de main de maître par des religieuses de la congrégation des Sisters of the Immaculate Heart of Mary (Los Angeles) – dont l’artiste, assimilée au pop art alors qu’elle en est l’une des précurseurs, Corita Kent (ou « Sister Mary Corita Kent »), née Frances Elizabeth Kent, fait partie. C’est ce qu’un film en double écran donne à voir dans la galerie, projeté au milieu de ces ultra graphiques sérigraphies militantes réalisées par la même Corita Kent dont, à l’aveugle, on serait incapable de dire si elles sont de la main de Saul Bass, d’Emory Douglas, Randy Tuten ou Wes Wilson – bien que ce soit beaucoup plus sophistiqué, raffiné et inventif. Plus arty. Plus spirituel aussi. L’art de Kent dépasse le simple moyen de communication (affiche, tract, pochette de disque, etc.). Le message peut être brouillé, sans réel souci d’efficacité ou de lisibilité. La composition graphique passe avant le souci de lisibilité. La typographie est choisie avec un goût très sûr et très singulier, souvent à base de caractères en bois encrés, de type mécanes, accompagnée d’un texte poétique manuscrit dont le style n’est pas sans rappeler l’écriture du jeune Warhol illustrateur. Les couleurs sont vives et franches. Les images traitées au trait, passées à la photocopieuse, sont redoutablement efficaces. La technique du collage, ou du moins de la juxtaposition d’éléments provenant de sources différentes, est quasi systématiquement utilisée. C’est impeccable. Avec toute la fraîcheur et l’urgence que permet le médium sérigraphie. Le style même de l’écriture est plutôt du côté de celui de Gertrude Stein ou bien de E. E. Cummings. Les messages de la série présentée à la galerie Allen sont plus sombres que ceux que Corita Kent a l’habitude de délivrer. Contrairement au film dans lequel on ne voit que des Blancs, il est ici souvent question de la cause noire, de Martin Luther King, du Black is Beautiful. Le Vietnam est évoqué également, ainsi que l’appel à « La Révolution ». Comme une activiste standard, Soeur Mary Corita démontre un authentique engagement politique – d’autant plus étonnant du fait de sa condition de religieuse au sein d’une communauté catholique. Son militantisme lui vaudra d’ailleurs, et inévitablement, les foudres de l’archevêché de Los Angeles qui la mèneront à prendre en 1968 un congé et à ne plus jamais revenir à l’Immaculate Heart Communauty. Elle s’installera à Boston et se consacrera entièrement à son art militant en toute liberté. Un cancer l’emportera à 67 ans, en 1986. L’« Heart of Art » continue à battre sur les murs de la galerie Allen. Colorful cardboard dragons carried in a cortege by children, by white, middle class Americans, young people bedecked with crowns of flowers. Posters acclaiming peace and love attached to wooden staffs held high appear in silk-screens that are seriously good graphically. It all seems like pop culture—the colors are truly hippy— but this is not a 1960s California be-in. It’s a march for peace in Los Angeles skillfully lead by members of the Sisters of the Immaculate Heart of Mary, including the artist, often considered an adept of Pop Art but in fact one of its precursors, Corita Kent (aka Sister Mary Corita Kent), born Frances Elizabeth Kent. We see this procession in a double-screen film projection in the middle of Kent’s highly graphic, politically engaged serigraphs. If we didn’t know better, we might think they were by Saul Bass, Emory Douglas, Randy Tuten or WesWilson, even if these works are much more sophisticated, refined and inventive. More arty, one may say. And more spiritual. Kent made silkscreen much more than a utilitarian medium (posters, leaflets, album covers, etc.). The message might be a bit fuzzy, since she was concerned not so much with telling us something specific but more with graphic composition. She chose her typography carefully and with her own singular good taste, often using woodblock Caslon characters, accompanied by a handwritten poetic text, a style reminiscent of AndyWarhol’s work as a young illustrator. The colors are vivid and fresh. The images— photocopied line drawings—are strong. Almost always these pieces are collages or at least involve the juxtaposition of elements from different sources. The result is impeccable, with all the freshness and urgency that the medium of serigraphy allows. Even the writing style is close to that of Gertrude Stein or e.e. cummings. The messages in the silkscreens on view at the Allen gallery are more somber than is generally the case in Kent’s work. Unlike the film showing an entirely white world, these pieces often take up the civil rights and black liberation movements. Vietnam is here, too, as is a call for “Revolution.” An activist to the core, Sister Mary Corita’s politics are especially surprising given that she was a nun who spent much of her life living and working in the Immaculate Heart religious community. Not surprisingly, this engagement brought harsh criti- cism from the archbishop of Los Angeles. In 1968 she left the order and moved to Boston, where she was able to devote herself to making art. She died of cancer at the age of 67 in 1986. Her “Heart of Art” continues to beat on the walls of the Allen gallery.
Translation, L-S Torgoff