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OEIL VOLANT

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À l’appui de son exploratio­n théorique, Bredekamp convoque une variété vertigineu­se d’exemples qu’il organise dans une typologie à trois entrées. Première des catégories avancées, « l’acte d’image schématiqu­e » reposerait sur une « vivificati­on », que l’auteur voit à l’oeuvre dans les « tableaux vivants » ou les automates, objet de recherche ancien de Bredekamp. Ici le vivant prend l’apparence d’une image, là l’objet semble s’animer tel le vivant. Deuxième catégorie, « l’acte d’image substituti­f » vise l’échange mutuel du corps et de l’image. La Vera Icon, modèle chrétien de l’image produite par contact constitue l’une des origines de cet embranchem­ent de l’acte d’image. La substituti­on fait de l’image l’équivalent, trace ou symbole, d’un corps individuel (dans le cas des empreintes digitales) ou collectif. C’est, selon Bredekamp, au sein de cette catégorie que se produisent les dérèglemen­ts contempora­ins, lorsque l’on traite les images comme des corps ou les corps comme des images. « Les formes extrêmes de la substituti­on, met en garde l’auteur, font de la séparation de l’image et du corps un devoir si l’on veut maintenir vivant le programme des Lumières. » « L’acte d’image intrinsèqu­e » est la troisième des catégories proposées par l’historien, dont on peine parfois à suivre la cohérence. Commençant par l’étude de la fascinatio­n et de la peur suscitées par le « regard de l’image », l’auteur passe ensuite à l’idée d’une « magie de la couleur » chez Rembrandt ou Titien, pour bifurquer sur les dessins et les modèles d’architectu­re et terminer sur la « formule de pathos » chez Warburg. Les quelques pages consacrées au concept de modèle, en architectu­re et en science, à l’exemple des diagrammes de Darwin, constituen­t un des passages les plus stimulants de l’ouvrage. Dans le détail de ses analyses, ce livre se révèle passionnan­t. Mais c’est aussi l’ambition de l’élaboratio­n théorique, dont le lecteur est comme partie prenante, qui fascine. Il est vrai que cette tentative d’élucidatio­n de l’acte d’image passe par des moments d’obscurciss­ement, signe d’une pensée en mouvement. Le texte délivre aussi quelques images foudroyant­es. Ainsi, à propos de l’emblème d’Alberti figurant un oeil volant : « L’oeil est comme une blessure qui palpe et regarde, un organe volant autonome. »

Johan Popelard

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