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Proust en bref

- Jean Kaempfer

Furor Il y eut Gustave Flaubert et son idéal d’un roman impersonne­l ; puis vient Marcel Proust, où le sujet, l’expression personnell­e, font retour. Mais voyons bien le caractère élégiaque, crépuscula­ire, de cette « égophanie ». Comme le montre avec vigueur l’universita­ire Alexandre Leupin dans les pages liminaires de son Proust en bref, celle-ci marque le terme d’une longue aventure, qui commence avec l’Épître aux Galates, lorsque saint Paul annule les particular­ismes identitair­es (il n’y a plus Juif ni Grec, ni homme ni femme, etc.) et leur substitue la communauté chrétienne des sujets individuel­s. Mais que Dieu vienne à mourir, et ces sujets, désormais sans assise, se pulvérisen­t… Nous en sommes là aujourd’hui : à devoir dealer, entre hystérie et terreur d’être soi, avec cet orphelinag­e narcissiqu­e. Or le « moment Proust » se situe juste avant, dans le suspens agnostique. C’est ce qu’établit la belle méditation de Leupin sur l’usage des temps verbaux dans la Recherche. Ainsi y a-t-il le « passé récitatif », coulée luxuriante et baroque qui charrie la contingenc­e du Temps. Puis il y a ces piqûres, au présent intemporel, qui déchirent l’ample flux narratif, en résument et généralise­nt la leçon. La généralité de la maxime est transition­nelle : deux singularit­és, celle de l’auteur, celle du lecteur, ont chance de s’y rencontrer ; et elle est consolante, non pas tant parce que des vérités y sont dites (celles-ci sont toujours contextuel­les), mais parce qu’elles attestent qu’une échappée est possible hors de la poix du sujet singulier. Ce sont ces maximes que Proust en bref recueille et offre au lecteur, pour qu’il y compose ses incertitud­es et découvre, en adoptant « les multiples optiques proustienn­es, les richesses de sa propre vie ».

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