Avant Godot
Arléa Auteur de livres sur la peinture, Stéphane Lambert évoque ici l’étonnant voyage qu’entreprit Samuel Beckett d’octobre 1936 – il a trente ans – à avril 1937, au coeur de l’Allemagne nazie, à Hambourg et à Dresde. Il fit là une « rencontre », celle d’un petit tableau de Caspar David Friedrich, Deux hommes contemplant la lune, source d’inspiration d’En attendant Godot, confiera Beckett. Mêlant informations objectives et analyses plus personnelles, Lambert propose un livre passionnant, un peu désordonné mais qui recadre la figure de Beckett, présenté de plus en plus comme une sorte de « sage », alors que c’est un homme qui tremblait, solitaire « avec » les autres, qui cherchait comment fuir… Pourquoi Beckett se rend-il en Allemagne précisément en 1936 ? Pour voir ce qui s’y passait, tout voir, et « surtout à travers le prisme de l’art », dit Lambert, le nazisme étant la réalité englobante, l’évidence indiscutable de cette époque. Beckett cherche dans l’art un chemin pour trouver son écriture, qui piétine à ce moment-là. Avant de partir, Beckett avait lu Arnold Geulincx, philosophe flamand du 17 siècle. Comme les tableaux de Friedrich, la pensée de Geulincx ouvre une circulation entre le dedans et le dehors, le désespoir et l’absurde. On se souvient de la phrase de Fin de partie : « Il n’y a rien de plus drôle que le malheur. » Les deux hommes du tableau de Friedrich – qui rappellent les nombreux « couples » beckettiens – sont-ils malheureux ? « Ils se languissent », dit Beckett. Mais un lien fraternel les unit face à cette nature de « catastrophe », mot si cher à Beckett, qu’ils contemplent. Et quand il s’installe à Paris, à l’automne 1937, Beckett, enfin détaché de Joyce, est animé par une ferveur créatrice impressionnante. Il a trouvé sa langue.