Néron en Occident. Une figure de l’histoire
Gallimard Donatien Grau, qui convoque quantité de références dans toutes les disciplines et de toutes les époques, déconstruit la tradition néronienne telle que l’a fixée Tacite. Quelle que soit la réalité historique des crimes qu’on lui attribue, le meurtre de sa mère, l’incendie de Rome, la persécution des chrétiens, sans parler des turpitudes sexuelles, la légende noire de Néron (37-68) répond d’abord à la nécessité de mettre un point final au monopole aristocratique du gouvernement de l’empire, dont il est le dernier représentant. Son mythe, où la démesure et l’arbitraire le disputent à la cruauté et à la désinvolture, se coulera dans le motif chrétien de l’Antéchrist. Dans Britannicus, Racine en fera l’expression de « ce qu’il y a de pire dans l’homme », avant que les manuels d’histoire n’en tirent une image d’Épinal pour l’édification des enfants turbulents. Au 14 siècle, le poète anglais Chaucer inaugure en revanche une « ouverture vers une prise en compte poétique » de la figure de Néron dont procédera la lecture alternative, plus subjective et subversive, des romantiques et des décadents. Sade, à la charnière de l’interprétation rationaliste des Lumières et de l’investissement passionnel du mythe, joue un rôle décisif dans la formation de ce nouveau modèle, qui fascinera tant Guy Debord. C’est encore ce « prince antiphilosophe » défenseur de « l’art pour l’art », que révèle au grand public le Quo vadis de Henryk Sienkiewicz, dont découleront une multitude de péplums. Figure protéiforme, qui laissa sur la conscience occidentale une empreinte sans équivalent, figure de fiction surtout, qui recouvre celui qui l’incarna dans l’histoire, Néron met en jeu les ressorts d’une véritable « historiopoétique », dont l’auteur offre ici un brillant exemple.