SO LONG IT’S BEEN GOOD TO KNOW YOU
communément admis – l’abstraction moderniste telle que nous la connaissons n’a guère plus de cent ans, bien que des observateurs et des critiques soient de plus en plus enclins à s’intéresser aux profondes racines qu’elle plonge dans des traditions esthétiques beaucoup plus anciennes, généralement (mais pas toujours) décoratives et souvent d’origine extra-européenne. Cela signifie que, pour quelqu’un qui, comme Kelly, a commencé de faire de l’art abstrait vers 1950, l’histoire de l’abstraction, toujours en cours de dépliement, n’avait pas encore achevé son premier demisiècle. Plus encore, cela implique qu’une contribution aussi majeure que l’est certainement celle de Kelly a pris place aux côtés de celles des pères et mères fondateurs du genre.
MAX BECKMANN
Dès les tout premiers moments, partisans et adversaires de l’art moderne ont évidemment reconnu dans l’avènement de l’abstraction la fin de la « tradition occidentale ». Pour les conservateurs, l’abstraction frappait de vacuité les espaces sémiotiquement chargés et les valeurs héritées de l’art pictural et sculptural ; dans le camp d’en face, les avant-gardes radicales, en particulier les avant-gardes politiques, y voyaient l’achèvement terminal, tant attendu, de la peinture et de l’art en tant que catégorie séparée de l’activité humaine. En dépit de sa proche amitié avec John Cage – amitié forgée à Paris en 1950-1951 et partagée avec Pierre Boulez, dont la mort vient de mettre un point final à une époque de la musique moderniste – les doctrines esthétiques laissaient Kelly froid. Homme de convictions – vétéran des forces alliées en France, il refusa la National Medal of Arts que devait lui décerner George W. Bush en raison de l’invasion de l’Irak (il l’accepta par la suite de la part de Barack Obama) – il ne fut cependant jamais marqué idéologiquement. Comme de nombreux créateurs nés in medias res, au beau milieu de l’histoire de l’abstraction, et contrairement à ce qu’affirmaient les dogmes des années 1920 à 1940, Kelly découvrit qu’il y restait énormément d’espace pour s’exprimer, et que beaucoup était encore à faire. Les conventions de l’abstraction n’étaient pas fixées, son dynamisme formel n’était pas épuisé : par rapport aux autres possibilités alors disponibles en peinture (Kelly s’était d’abord épris de l’oeuvre de Max Beckmann, rencontré à Boston où il effectuait ses études), elle demeurait un symbole de jeunesse. Tout en conservant à Beckmann son admiration, Kelly se plongea dans l’histoire de l’art ancien aussi bien que moderne. Les banner-stones précolombiennes, l’architecture romane, Brancusi et Picasso (qu’il rencontra), Calder, Arp et Vantongerloo (qui devinrent ses amis) devinrent des pierres de touche de son oeuvre. Ni Matisse ni Mondrian, en revanche, bien qu’il surmontât dans ses dernières années « l’angoisse de l’influence » quant au second. Il n’éprouva aucune attirance non plus pour le néo-constructivisme, bien qu’il ait brièvement flirté avec les peintres abstraits géométriques