Foucault à Münsterlingen
Le 2 mars 1954, un jeune assistant de psychologie de l’université de Lille nommé Michel Foucault se rend à Münsterlingen, sur la rive suisse du lac de Constance, où le directeur de l’asile cantonal l’a invité à assister au défilé des fous qu’il organise chaque année à l’occasion du carnaval. Le même jour, il rencontre le célèbre Ludwig Binswanger, directeur du sanatorium voisin de Kreuzlingen, pionnier de l’analyse existentielle qui révolutionne alors le traitement de la folie et a éveillé depuis longtemps l’intérêt des philosophes existentialistes français. Foucault travaille précisément à la préface de l’édition française du Rêve et l’Existence de Binswanger, traduit par son amie Jacqueline Verdeaux qui l’accompagne en Suisse et y réalise de nombreuses photographies. Comme le suggèrent l’anthropologue Emmanuel Désveaux et l’historien des religions Yann Dahhaoui, c’est peut-être le carnaval lui-même – lieu par excellence du rapprochement de la folie et de la mort, où s’exprime, sous le couvert du masque, la « part maudite » de la société – qui bouleverse le plus profondément le futur auteur de l’Histoire de la folie à l’âge classique, faisant de cette journée « l’urscene de toute la dramaturgie foucaldienne ». Le thème de la « fête des fous » ponctuera ainsi régulièrement l’ensemble de son oeuvre. C’est cependant moins à une fête des fous que de l’intelligence que convie cette étonnante monographie, aux confins de l’enquête historique et du roman d’une pensée. Une date, un lieu, un personnage, des documents : avec une érudition sans faille, l’ouvrage arpente selon tous les axes les circonstances singulières qui lui fournissent son argument, sous la forme kaléidoscopique d’une archive ouverte des plus stimulantes.