Maxence Caron (éd.)
L’art de l’insolence. Rivarol, Chamfort, Vauvenargues
Robert Laffont, 1536 p., 34 euros « Un homme à qui la nature a tout donné et à qui la société dispute ou refuse tout ne peut rien pour ce monde, et ne travaille que pour la postérité. » Le souvenir de Rivarol, l’auteur de ces lignes, est généralement associé à une forme de persiflage politique s’exerçant contre la tournure criminelle de la Terreur (c’est « le premier esprit antitotalitaire », écrit la préfacière Chantal Delsol). Mais en réunissant ses oeuvres complètes en un volume, associées à celles de Vauvenargues et Chamfort, Maxence Caron invite au spectacle fédéré d’une langue française d’autant plus électrisante qu’elle s’inscrivait « dans le tissu d’un style clair et sage », langue que Rivarol distribua à merveille, tirant parti des propriétés du français comme personne. La lecture de ce trio diabolique du 18 siècle personnifiant un art de l’insolence universel n’en rend que plus frappantes, et la frugalité dialectique, et la mollesse rhétorique d’une époque, la nôtre, qui prétend s’être fait une spécialité de l’ironie qu’elle confond avec la dérision nihiliste. Invité dans un talk-show à la mode et livré aux sarcasmes grossiers du chroniqueur public, Rivarol aurait tôt fait d’exécuter l’imposteur. Qu’estce qui distingue « le clash », en vogue sur les réseaux sociaux, de l’épigramme des Lumières ? Le moraliste du « charlatan de la morale » ? « Le Français par excellence » (Rivarol selon Voltaire) du Français par fatalité ? L’ironie de la dérision ? Le style ! Oui mais encore... « Si le jugement défend d’écrire comme on parle ; la nature ne permet pas de parler comme on écrit. » Il y a donc, entre les deux, un passage éloquent, clair et rapide, que la plupart des hommes, « si resserrés dans la sphère de leur condition », ne franchissent jamais. Ce passage, c’est celui, tout simplement, de la pensée.