Bruno Racine
La Voix de ma mère
Gallimard, 136 p., 12,50 euros Comme dans les précédents livres de Bruno Racine, l’abandon confiant aux pouvoirs de l’écriture dicte un mouvement harmonieux, une sorte de sprezzatura. Ce qui contribue à faire une trame de souvenirs, à partir de faits familiaux et affectifs, prend une envergure qui fait mesurer que tout avait été maîtrisé et que chaque moment du livre, chaque référence littéraire (Stendhal, James, Cohen…), restituent le décor d’une époque révolue et contribuent à dépasser l’anecdote égotiste. Dans cette tentative de retrouver l’accent ornant les paroles de sa mère, telle une fragrance effacée, Racine se souvient de la préférence qu’elle avait pour un poème de John Keats, The Eve of St. Agnes. D’ailleurs, un moment de ce poème rencontre cette quête mémorielle : « Qu’aucune syllabe ne s’exhale, ou malheur à elle : / Mais à son coeur, son coeur parlait profusément / Endolorissant de son éloquence son flanc embaumé / Tel un rossignol privé de voix enfle / Son gosier en vain, et meurt dans un vallon étouffé par son coeur! » Celui qui fut président de la BnF et de ses écrits conserva donc aussi la mémoire vive d’une voix maternelle qui, pour une part, décida de plusieurs de ses vocations. Le livre s’accomplit en une vitesse qui permet d’articuler l’histoire d’une intimité et la grande : les exils de l’entre-deuxguerres, Vichy, la vie de responsable culturel et d’écrivain. Cela autorise également des raccourcis où l’humour se loge au plus profond d’une écriture directe, fluide et élancée : une même phrase emporte et réunit ainsi la royauté des Lowenstein et les Rolling Stones ! Mais c’est évidemment l’amour maternel, dont Racine ne craint pas d’en montrer photographiquement la beauté en Ève troublante, qui évoque d’autres fils amoureux, de Proust à Barthes.