Romaric Gergorin
Actes Sud, 176 p., 18 euros « J’ai un très grand respect pour l’humour, c’est une sauvegarde qui permet de traverser tous les miroirs. » Citée dans l’avant-propos d’Erik Satie, cette phrase de Marcel Duchamp s’applique aussi bien à la vie du compositeur qu’à l’essai que lui consacre Romaric Gergorin. Des miroirs, Satie en a traversé de nombreux, autant que des épreuves. Il fut, au cours de sa trop courte existence (1866-1925), souvent méprisé, décrié, et même parfois ruiné ; parce qu’il était intempestif, audacieux, bravant tous les interdits, ignorant les modes pour mieux les inventer presque malgré lui. En quête de nouvelles formes esthétiques, « il s’inspire des arts plastiques et n’hésite pas à affirmer que l’Évolution musicale est toujours en arrière de cent ans sur l’Évolution picturale ». Il développe ainsi une nouvelle façon d’appréhender le temps, dont « il cherche à pénétrer l’épaisseur comme la surface, ayant construit des durées pour le déboîter, le diffracter ». « Chef de file de la modernité », Satie fut d’avant-garde sans tomber dans l’idéologie, la lourdeur, la prétention qui caractérisent parfois les créations de ceux qui se disent « révolutionnaires ». Son oeuvre était donc drôle, au sens de l’humour duchampien, mais aussi au sens d’étrange, de mystérieux. S’il croisa la route des impressionnistes ou de dada, il emprunta surtout des chemins de traverse bien moins fréquentables : ésotérisme, alchimie, humorisme, ou encore les merveilleux arts incohérents. L’auteur montre comment Satie est devenu aujourd’hui un « mythe errant, sans identité propre », repris par des musiciens comme Cage, Stockhausen, Messiaen. Satie voulait « sortir de l’histoire de la musique ». Il y est si bien parvenu qu’il a réussi à bouleverser celle-ci de fond en comble.