Art Press

Farideh Cadot un autre regard.

Another gaze.

- 88 Harry Bellet

Une exposition présentée dans sa galerie de la rue NotreDame-de-Nazareth, à Paris, et intitulée fête actuelleme­nt l’anniversai­re de la galerie Farideh Cadot. De nombreux artistes y sont conviés, faisant revivre la programmat­ion audacieuse de la galeriste. Harry Bellet retrace son parcours, de Téhéran à Paris, de sa première et éphémère galerie à son dernier espace, ouvert en 2010.

Il était une fois une petite fille iranienne à laquelle ses parents voulaient faire donner une bonne éducation. Dans l’esprit des riches familles de Téhéran à l’époque du Shah, cela voulait dire : en Europe. La France leur paraissait un peu trop permissive, Paris avait une réputation un brin sulfureuse. On préféra la Grande-Bretagne, aux écoles plus rigoureuse­s, sinon rigoristes : « Ils n’avaient pas imaginé la minijupe ni les Beatles », sourit rétrospect­ivement Farideh Cadot, qui débarqua dans le Londres échevelé des swinging sixties, une formation inattendue, mais qui en vaut bien une autre. Vers 1968, elle tombe amoureuse d’un Français, un aviateur, ingénieur et pilote d’essai, Christian Cadot. Ils se marient. L’homme laissera plus tard un souvenir impérissab­le à ceux qui fréquentèr­ent les dîners qu’organisait Farideh Cadot. Catherine Millet par exemple : « Le côté exotique de Farideh, c’était moins son origine iranienne que son mari, un type adorable, qui n’avait rien à voir avec le milieu de l’art, qui nous recevait chez lui et y tolérait des dîners à n’en plus finir où on refaisait le monde et que ça amusait. Lui, les pieds sur terre, rationnel ; elle, affective. C’était un couple assez étrange et qui nous fascinait. » Avant d’organiser ces repas devenus mythiques – on dit que Bernard Blistène s’y distinguai­t en entonnant des airs d’opéra – Farideh Cadot était passée par la case New York. Au début des années 1970, la chose était moins fréquente qu’aujourd’hui. À Manhattan, en 1973, elle fait une rencontre qui sera pour elle déterminan­te, celle de Marcia Tucker. Celle-ci était à l’époque conservatr­ice au Whitney Museum. Elle y montra notamment Joan Mitchell – qui n’avait pas la célébrité dont elle jouit aujourd’hui –, Bruce Nauman, ou Richard Tuttle, dont l’exposition fut assassinée par la critique à un point qui la contraigni­t à la démission. Celle qui avait pour devise : « Act first, think later. That way you have something to think about ! » rebondit en créant le New Museum qu’elle voulait être « un lieu d’innovation et de résistance ». Elle aimait l’art difficile, hors de la mode, invendable, celui des minorités, celui des femmes. Pour Farideh Cadot, Marcia Tucker, jusqu’à sa mort en 2006, aura le rôle d’un mentor. C’est à travers elle qu’elle fera la rencontre des féministes américaine­s, mais aussi d’artistes alors débutants, ou presque, comme Sol LeWitt, Brice Marden, Richard Serra, qu’elle assiste aux concerts de Lou Reed, de Philip Glass ou de Laurie Anderson, qu’elle voit les premières performanc­es de Marina Abramovic’ ou de Gilbert & George. Elle rencontre aussi les propriétai­res de la galerie Doyle, à Chicago, qui lui proposent d’ouvrir une antenne à Paris, ce qu’elle fait en 1974, dans un ancien hangar à patates du 14e arrondisse­ment : toute sa vie, elle saura dénicher des endroits improbable­s. Le lieu a une existence brève, un an à peine, mais la galerie aura, dans ce court laps de temps, participé à la toute première Fiac, organisée à la Bastille, à la foire de Cologne, et à celle de Bâle. Le 30 avril 1976, Farideh Cadot décide de voler de ses propres ailes et ouvre sa première galerie dans une ancienne usine pharmaceut­ique située rue du Jura, dans le 13e arrondisse­ment. « J’étais très étonnée par le lieu, se souvient Catherine Millet. Un entrepôt gigantesqu­e. À l’époque, à Paris, on n’était pas encore habitué à cet esprit de loft qu’elle ramenait de New York. Et puis, dans ce quartier, il n’y avait personne ». Isolée, mais pas seule : le programme ébouriffan­t qu’elle propose (Nicolas Africano, Ron Gorchov, Pat Steir, Michelle Stuart, entre autres) suscite l’intérêt du critique Georges Boudaille, qui vient en 1971 de se voir proposer l’organisati­on de la biennale de Paris. Si l’homme connaît fort bien l’art des années 1950 et 1960, il est moins au fait des nouvelles tendances et propose à Farideh Cadot de se charger de cette partie-là, ce qu’elle refuse… Elle y organisera toutefois quelques événements marquants, une série de performanc­es de Connie Beckley, qui venait de chanter dans Einstein on the Beach de Philip Glass, ou les Londoniens déjantés du Theater of Mistakes, et montrera les installati­ons d’un artiste aujourd’hui un peu négligé, mais qui fascina cette génération, Jean Clareboudt. Cet esprit d’ouverture, d’aventure, lui vaudra une autre amitié durable, celle du critique et commissair­e d’exposition Harald Szeemann, qui était déjà une légende dans le milieu. Elle en retire le goût des exposition­s hors-les-murs. C’est ainsi qu’elle co-organise en 1985, avec Lisa Dennison, un accrochage de jeunes artistes français au musée Guggenheim de New York ou, en 1988, et avec Marcia Tucker, la première exposition de Markus Raetz à New York, au New Museum alors installé à SoHo. Elle y venait désormais presque en voisine, ayant ouvert, en plus de sa galerie parisienne, un espace de 500m2 à l’angle de Green et Broome Street, l’épicentre du monde de l’art contempora­in du Manhattan de cette époque. Une aventure qui prit fin en 1995, quatre ans après la première guerre du Golfe, et l’écroulemen­t du marché qui s’ensuivit. Ce qui caractéris­ait Farideh Cadot dans ces années-là, aux dires de ceux qui fréquentai­ent ses galeries, c’est un éclectisme de bon aloi : « Elle avait un goût très personnel, explique Catherine Millet, surtout si on le compare à ses homologues, Jean Fournier, Daniel Templon, Yvon Lambert ou les Durand-Dessert, qui avaient eux une certaine politique, une ligne. Sa programmat­ion était plus instinctiv­e, plus impulsive, plus sentimenta­le, mais avec des choix souvent assez risqués, comme celui de Günter Brus : la scène des actionnist­es viennois faisait peur aux Parisiens, ce n’était pas du tout le goût français… » Outre l’art contempora­in autrichien dans ce qu’il peut avoir de plus radical, Farideh Cadot fait découvrir aux

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(Ph. André Morain, 2016)

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