Le feuilleton de Jacques Henric Shakespeare
Gallimard, 208 p., 19,50 euros Le siècle des médias de masse fut aussi celui de leurs réfractaires. On pense bien sûr à Guy Debord, qui travailla pourtant très activement à la diffusion de sa pensée, ou à Maurice Blanchot, dont l’abstention exhibitionniste confine si souvent au ridicule. On oublie Henri Michaux, dont le refus si radical porte sur l’oeuvre elle-même. Ses lettres de refus, choisies et présentées par Jean-Luc Outers, ne font pas seulement un livre charmant, elles sont aussi le récit d’une exemplarité. Il s’agit d’abord pour Michaux de préserver la lisibilité de ses livres, ce qui implique en particulier, après qu’une série de lectures de Plume dans un cabaret au début de l’Occupation l’eut définitivement échaudé, d’en empêcher toute adaptation théâtrale, télévisuelle ou cinématographique. Le même orgueil d’auteur lui interdit de signer la moindre pétition (« Je signe mes écrits. Je ne peux signer ce que d’autres ont rédigé. Je ne peux rédiger des écrits que d’autres signeraient »), ou de parler, lors d’une conférence ou d’une interview, d’une oeuvre qui ne peut véritablement exister qu’à condition de se suffire à elle-même. Dans ce refus de paraître, de l’orgueil certes, mais aussi une conception absolument entière de l’individu, qui ne saurait sans déchoir s’exposer au regard des autres. Pas de Pléiade de son vivant donc, mais pas non plus de poche, pas de prix (ce serait reconnaître à d’autres, contre de l’argent, le droit de juger de notre travail), pas de rééditions de textes qu’il juge ratés ou trop intimes, très peu de numéros spéciaux de revues, pas d’éditions de sa correspondance. Quant à celle-ci : il a tout jeté, tout brûlé, à diverses reprises, avec ses brouillons manuscrits et ses documents personnels. Ne pas apparaître n’est rien : c’est disparaître qu’il faut.