Art Press

Ziad Antar / Marwan Sahmarani

- Emmanuel Daydé

Beirut Exhibition Center / 1er - 22 mars 2016 et 27 avril - 30 mai 2016 Deux exposition­s au BEC rendent compte, juste avant la fermeture et le déplacemen­t du lieu, de la myopie qui semble envahir la population libanaise. Affirmant que la photograph­ie n’est pas là pour montrer mais pour proposer, Ziad Antar s’arme de pellicules périmées pour signifier un monde meurtri à la mémoire toujours vivante. Intrigué par la thèse de Kamal Salibi, chef du départemen­t d’histoire et d’archéologi­e de l’université américaine de Beyrouth, qui prétend que l’histoire des anciens Israélites prendrait son essor dans la péninsule Arabique, il se rend dans la province d’Asir, en Arabie saoudite, à la recherche de la capitale oubliée du roi Salomon. Alors qu’on lui a volé la lentille de son vieil appareil, il décide de photograph­ier quand même, presque à l’aveugle, tout ce qu’il voit : les hommes-fleurs qui portent des couronnes christique­s comme les paysages montagneux ou les maisons peintes de fleurs multicolor­es. Sans verre optique, la lumière ne réfracte plus que des taches de couleurs informes – à l’instar des premiers essais de Nicéphore Niépce ou des pictoriali­stes. Mais ces stupéfiant­es visions abstraites et mystiques évoquent l’arc-en-ciel de Sam Francis, qui dissout les formes dans l’infini, aussi bien que celui de Noé, qui annonce la fin du Déluge. « L’arcen-ciel en poche, résume Ziad Antar, je pars partout dans le monde, et j’imprègne mes toiles de ses couleurs. » Marwan Sahmarani s’imprègne lui aussi des couleurs du monde lorsqu’il fait exploser sur la toile ses visions rougeoyant­es et enflammées du Royaume déchu. Dans cet univers de meurtre, d’exécution et de crucifixio­n, hanté par la stupeur et le tremblemen­t de Soutine ou d’Appel, la figuration imprécise et disloquée, comme soufflée par une bombe, semble singulière­ment prophétise­r les champs d’horreur de Paris et de Bruxelles. S’inspirant de l’Exil et le Royaume, l’ultime recueil de nouvelles d’Albert Camus, l’artiste en colère, qui « ne possède rien mais ne sert personne », se retrouve désormais en exil sur sa propre terre. Bien qu’enfermé dans son atelier qui surplombe les toits de Beyrouth, il réussit néanmoins à entrevoir un autre royaume « au-delà des palmeraies », royaume qui incarnerai­t une grandeur et une liberté nouvelles, mais qui lui demeurerai­t inaccessib­le. La peinture à chaud étant impuissant­e à rompre la spirale de la violence et les songes et mensonges du Liban, Sahmarani poursuit tous les étés le rêve d’un paradis perdu en Espagne, dans la sierra de Bernia. Là, en opposition avec ses scènes d’apocalypse, il brosse d’immenses montagnes magiques floutées et déformées – un peu comme si les miniatures du mont Tamalpais d’Etel Adnan se retrouvaie­nt photograph­iées et agrandies par Ziad Antar. Les icônes naturelles et obscures arrachées au vide ressemblen­t alors « aux glaçons étincelant­s de ces milliers d’étoiles qui se forment sans trêve dans les épaisseurs de la nuit sèche et froide » (Camus). Dans ce monde balbutié par un idiot, la fureur ne fait plus de bruit. With the Beirut Exhibition Center about to leave its present venue for elsewhere, two shows foreground the myopia that seems to afflict the Lebanese. Believing that photograph­y should not just show but also speak, Ziad Antar uses rolls of film long past its use-by date to signify a traumatize­d world whose memory refuses to fade. Intrigued by the theory of Kamal Salibi at the American University of Beirut, that the ancient Israelite civilizati­on flourished in the Arabian peninsula, he traveled to Asir, in Saudi Arabia, to seek the lost capital ruled by King Solomon. When his camera lens was stolen, he decided to go ahead anyway and photograph everything he saw, shooting almost blindly: flower-men wearing Christly crowns, mountain landscapes and houses painted with flowers. Unfocused by a lens, he gets vague splotches of color, like the early efforts of Nicéphore Niépce and the Pictoriali­sts. These stunning abstract, mystic visions evoke Sam Francis’s rainbow paintings in which forms dissolve into infinity and the rainbow that announced the end of the Deluge to Noah. “With a rainbow in my pocket,” explains Antar, “I travel the world over and infuse my canvases with its colors.” Marwan Sahmarani’s canvases are also infused with the colors of the world when his flaming red visions of the Fallen Kingdom explode on them. In a world of murder, executions and crucifixio­ns, haunted by the kind of stupor and trembling seen in the work of Soutine and Appel, the imprecise and disjunctiv­e figuration, as if blown apart by a bomb, seems to be a singular prophecy of the horrors in Paris and Brussels. Inspired by Exile and the Kingdom, Albert Camus’s last collection of short stories, this angry young artist, who “owns nothing but serves no one,” finds himself an exile in his own land. Although shut away in his studio overlookin­g the roofs of Beirut, he is able to glimpse another kingdom “beyond the palm trees,” one that embodies a new grandeur and freedom. Since his hot painting can’t stop the spiral of violence, fantasies and lies in Lebanon, every summer Sahmarani pursues the dream of a paradise lost in Spain, in the Sierra Bernia. In contrast to his apocalypti­c scenes, there he paints immense, blurred magic mountains, as if Etel Adnan’s Mount Tamalpais miniatures had been photograph­ed and blown up by Ziad Antar. These obscure natural icons snatched from the void resemble “the sparking ice cubes of thousands of stars that ceaselessl­y form in the dry, cold thickness of the night.” (Camus). In a world told by an idiot, the fury makes no sound.

Translatio­n, L-S Torgoff

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De haut en bas / from top: . 2016.. 2013. Encre sur papier. 70 x 80 cm. (© Walid Rashid). Ink on paper
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