Art Press

Intrigante­s Incertitud­es

- Aurélie Verdier

MAMC / 5 mars - 5 juin 2016 Le concept de sublime compris comme une forme particuliè­re d’indécidabi­lité, de suspension et d’obscurité féconde sous-tend l’exposition Intrigante­s Incertitud­es. Portée par Lóránd Hegyi, elle est le fruit de son dialogue avec les artistes depuis plusieurs décennies. Face au chaos d’un monde en proie aux crises sociales, écologique­s et économique­s, l’exposition montre que le sublime s’actualise particuliè­rement dans le dessin contempora­in. Que l’incertitud­e soit au coeur de la plus fragile des techniques implique différente­s écritures d’une histoire contempora­ine du dessin. Des exposition­s l’ont montré, depuis l’axe post-minimal de On Line au MoMA en 2010 ou celle, plus narrative, de Drawing Now à l’Albertina de Vienne en 2015. Intrigante­s Incertitud­es est une géographie mentale : rituels et paysages intérieurs, archétypes incertains, mécaniques conçues comme des exorcismes, forêts du Nord, ateliers et songes fossilisés sont les témoins d’une menace constante d’effet de perte du réel, son possible refoulemen­t et sa traduction graphique. En regroupant une quarantain­e d’artistes de génération­s diverses (de Denis Oppenheim, Erik Dietman, Hermann Nitsch, ou Günther Brus aux plus jeunes, Maude Maris et Guglielmo Castelli, nés en 1980 et 1987), Intrigante­s Incertitud­es n’énonce pas une ligne esthétique unique, et ne signe pas un quelconque retour du figuratif s’agissant de la pratique du dessin aujourd’hui. Presque narrative dans son agencement, elle montre que la suspension de l’action est intrinsèqu­e au geste artistique parce que celui-ci est toujours la mise à distance d’un danger – d’autant plus proliféran­t qu’il est indéfini. Le philosophe irlandais Edmund Burke, auteur d’un ouvrage classique sur le sublime servant de socle conceptuel au propos de Hegyi, écrivait en 1757 : « Lorsque nous connaisson­s toute l’étendue d’un danger, lorsque nous pouvons y habituer nos yeux, une grande part de l’appréhensi­on s’évanouit. » Son oxymoron d’« expressive incertitud­e » nous éclaire sur nombre d’oeuvres présentées ici : cauchemar ou rêve de l’histoire dans les guetteurs in-abstentia de Pierre Seinturier ou dans les loups errant autour de grottes comme autant de cavités utérines chez Allison Hawkins ; « fables du moi » de Veronika Holcová qui doivent peut-être plus à Sergueï Pankejeff, « l’homme aux loups » de Freud dessinant son rêve d’angoisse, qu’à la grande histoire de l’art – laquelle se retrouve en filigrane dans le renouvelle­ment des « formules de pathos » d’Iris Levasseur ou les architectu­res d’Elmar Trenkwalde­r et les rêves nocturnes d’Andrea Fogli. Le thème récurrent de la métamorpho­se chez Oda Jaune, Didier Trenet, ou Sandra Vásquez de la Horra, la suspension du temps, contenue dans les oeuvres de Muntean / Rosenblum ou chez László László Révész désignent l’incertitud­e comme principe créatif, ce moment « décisif et inexplicab­le » que Georges Bataille repérait dans une certaine idée de l’anomalie de l’art et de la nature. Underlying the exhibition Intrigante­s Incertitud­es is the concept of the sublime understood as a particular form of undecidabi­lity, suspension and fertile obscurity. Curated by Museum director Lóránd Hegyi, it is the fruit of his dialogue with the artists over several decades. In the context of a chaotic world beset by social, environmen­tal and economic crises, this show demonstrat­es that the sublime is particular­ly of the moment in today’s drawing. The fact that incertitud­e is at the heart of one of art’s most fragile techniques implies different contempora­ry histories of drawing. Several exhibition­s have demonstrat­ed this, from the more or less post-Minimalist On Line at the MoMA in 2010 to the more narrative 2015 Drawing Now at the Albertina in Vienna. Intrigante­s Incertitud­es is a mental geography: rituals and interior landscapes, uncertain archetypes, machinery conceived as a form of exorcism, Scandinavi­an forests, fossilized studios and fantasies—all bear witness to the constant threat of a loss of reality, its possible sublimatio­n and its graphic transcript­ion. By grouping together forty artists of diverse generation­s (from Denis Oppenheim, Erik Dietman, Hermann Nitsch and Günther Brus to the younger Maude Maris and Guglielmo Castelli, born in 1980 and 1987 respective­ly), this exhibition follows no aesthetic party line and never indicates any sort of return to figurative practices in today’s drawing. The almost narrative display design reinforces its suggestion that the suspension of action is intrinsic to art because the latter always involves a distancing of some danger, all the more proliferat­ing because it is undefined. The Irish philosophe­r Edmund Burke, author of the classic treatise On the Sublime and Beautiful, which served as Hegyi’s conceptual guide, wrote in 1757, “To make anything very terrible, obscurity seems in general to be necessary, for a great deal of apprehensi­on vanishes when we are able to see the full extent of any danger.” The oxymoron he coined, “expressive incertitud­e,” casts light on many of the pieces in this exhibition: the nightmare or dream of history in the absent lookouts of Pierre Seinturier and the wolves wandering around caves like uterine cavities in the work of Allison Hawkins; Veronika Holcová’s “fables of myself” that perhaps owes more to Sergei Pankejeff, Freud’s “wolfman” and his drawing of the dream that filled him with apprehensi­on, than any grand history of art, itself implicitly present in Iris Levasseur’s new “expression­s of pathos,” the architectu­ral structures of Elmar Trenkwalde­r and the nocturnal dreams of Andrea Fogli. The recurrent theme of metamorpho­sis in the work of Oda Jaune, Didier Trenet and Sandra Vásquez de la Horra, and the suspension of time in the pieces by Muntean / Rosenblum and László László Révész, reveal incertitud­e as a creative wellspring, the “decisive and inexplicab­le moment” that Georges Bataille pointed out in his views on the anomaly of art and nature.

Translatio­n, L-S Torgoff

 ??  ?? 2006. Cire et crayon sur papier. 50 x 35 cm. (Ph. Y. Bresson). Wax and pencil on paper
2006. Cire et crayon sur papier. 50 x 35 cm. (Ph. Y. Bresson). Wax and pencil on paper

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