9e Biennale - The Present in Drag
Divers lieux / 4 juin - 18 septembre 2016 Il est un présupposé à la biennale de Berlin que tous ses visiteurs étrangers doivent comprendre avant de s’y rendre : elle se passe à Berlin. Voilà une belle lapalissade, mais la manifestation est génétiquement programmée, depuis sa première édition en 1998, pour être le témoin de l’évolution urbaine de la capitale allemande. Elle a flamboyé en 2006 dans une rue (Auguststrasse), elle a été présentée dans un no man’s land (2008) avant d’échouer misérablement en 2014 au Musée d’ethnologie de Dahlem. La première décision des commissaires est de choisir des lieux dans Berlin, et ce choix se montre, bien souvent, plus signifiant que l’art exposé. Les commissaires – quatre New-Yorkais du collectif DIS (Lauren Boyle, Solomon Chase, Marco Roso et David Toro), fondateurs en 2010 de DIS Magazine, magazine numérique mélangeant musique, théorie, mode, art et cultures digitales – investissent l’horrible bâtiment de l’Akademie der Künste sur la Pariser Platz, les traditionnels KW (Kunst-Werke Institute for Contemporary Art), une école de management, une collection privée et un bateau-mouche. Enfin, cerise sur le gâteau, ils organisent leur conférence de presse dans le foyer de verre et de métal chromé d’une compagnie d’assurances ! Ils dévoilent par là une tendance qui ne fait pas plaisir aux Berlinois : la ville est devenue « corporate », elle est le siège d’entreprises interchangeables, on y fait du business et les touristes s’y promènent sur la Spree. Oubliés le Mur et la bohème des années 1990, bienvenue au 21e siècle ! Alors, l’art exposé relève plutôt des nouveaux médias (des réseaux sociaux à l’anonymat sur Internet en passant par les applications telles qu’Uber ou Facebook), et An Paenhuysen, une des meilleures critiques d’art de Berlin, de me dire : « On se croirait dans une exposition solo, tout se ressemble. » À quoi je répliquais : « Et si, au contraire, cela en faisait une exposition d’une précision extrême, la preuve que DIS a bien fait son métier ? » On trouve donc de nombreuses projections vidéo présentées sous forme d’installation (Cécile B. Evans, Hito Steyerl). Les oeuvres possèdent une esthétique de papier glacée mâtinée de vulgarité et d’images en 3D, comme on en trouve dans les brochures des multinationales. D’ailleurs, la communication graphique de l’événement, réalisée par un bureau de design qui travaille habituellement pour BMW – Meiré und Meiré –, joue avec brio avec les stocks images, ces photographies que l’on peut acheter pour quelques euros et représentant des personnes souriantes dans toutes les activités possibles et imaginables. Cette fascination de DIS pour des images sans âme mais fonctionnalistes est significative et devient vite le fil rouge de la Biennale : un monde heureux, multiracial, jeune et en bonne santé, tel que les entreprises nous le présentent dans leurs brochures et dépliants. On pense alors à cette science-fiction des années 1970 qui nous annonçait un monde parfait mais secrètement pervers ( Soleil vert de Richard Fleischer ou l’Âge de cristal de Michael Anderson), une société idéale fondée sur la mort et le contrôle. New Eelam, de Christopher Kulendran Thomas, prolonge cette approche en la transplantant dans le monde contemporain. L’artiste réalise une installation, un « appartement témoin » à base de plantes vertes, sofas au design générique et oeuvres abstraites afin de présenter une vidéo sur un écran plat. Le film se présente comme un spot publicitaire pour une entreprise de partage de logements dont les utilisateurs, pour ouvrir leur porte, ont juste besoin de leur smartphone. Ils voyagent dans le monde et passent d’un logement à un autre, toujours identique, toujours aussi « branché » qu’anonyme. Cette oeuvre, mélangeant théorie marxiste, histoire du Sri Lanka, globalisation et solitude à l’ère des réseaux sociaux, est emplie des prédictions de J.G. Ballard et ridiculise l’architecture de l’Akademie der Künste, construite par Günter Behnisch en 2005. Un bâtiment qui ressemble plus à un showroom Volkswagen qu’à un centre d’art. En investissant un tel lieu et en y exposant une telle oeuvre, DIS fait preuve de discernement et d’ironie. Cette édition est bien meilleure que les quatre précédentes, elle déplace une niche (les nouveaux médias) vers le grand public, elle pousse l’esthétique de l’information à l’extrême, elle joue avec les produits dérivés et le marketing, mais il faudra, pour la comprendre, accepter de devenir ses consommateurs et utilisateurs. Car dans le monde que DIS nous présente, il n’est évidemment plus question de visiteurs, mais bien de clients faussement interactifs d’un système dont ils souhaitent être les acteurs, alors qu’ils en sont surtout les victimes. Now, this may sound obvious, but foreign visitors coming to Berlin for the Biennale need to bear in mind one thing: it takes place in Berlin. By which I mean that, ever since its first edition in 1998, the event has been genetically programmed to bear witness to the urban evolution of the German capital. In 2006 it strutted its stuff in Auguststrasse, then two years later ended up in a noman’s-land (2008), and finally fetched up in the ethnological museum in Dahlem in 2014. The first thing the curators of this event have to do is choose their venues, and often that decision proves more significant than the actual choice of artworks. This year we have a foursome: Lauren Boyle, Solomon Chase, Marco Roso and David Toro of the New York-based DIS collective who in 2010 founded the ezine DIS Magazine, which mixes together music, theory, fashion, art and culture. They have taken over the horrible building of the Akademie der Künste on Pariser Platz, the traditional KW (Kunst-Werke Institute for Contemporary Art), a management school, a private collection and a riverboat. The icing on the cake was a press conference in the glass and chrome foyer of an insurance company building! This locale spoke eloquently of a tendency that Berliners do not appreciate: the city has become corporate, it is the HQ of interchangeable business, a businessman’s place where tourists take boat trips along the Spree. Forget the Wall and the