Jean Charles Blais
Galerie Catherine Issert / 20 mai - 2 juillet 2016 S’il fallait ne retenir qu’un seul mot pour définir la pratique artistique de Jean Charles Blais, ce serait expérimentation. Son travail, qui porte sur la fragmentation du corps, s’inscrit dans une suite de confrontations sans cesse renouvelées. Ses oeuvres nous ont habitués à une ambiguïté et à une polysémie que l’exposition de la galerie Catherine Issert, qui soutient depuis ses débuts cet investigateur, ne dément pas. Cette sélection de peintures récentes atteste, tout en nous réservant quelques surprises, que le travail de cet artiste garde toute sa puissance. D’emblée, un des traits marquants de sa pratique s’impose : la réitération. Faire une « oeuvre de chaque variation (1) » en est un principe perceptible ici dans la série de peintures sur affiches arrachées – support utilisé par Blais depuis les années 1980 et qui est un peu sa marque de fabrique – comme dans les collages « épinglés » et les gouaches dans lesquelles les noirs subliment la couleur ou le blanc. Le choix d’oeuvres opéré pour l’exposition met en évidence une autre caractéristique qui complexifie la mise en relation des formes : la réitération devient dédoublement. Mais ce qui distingue surtout cette exposition où s’affirme le retour à la couleur, ce sont les changements dans le traitement de la figure. Jusqu’à présent, Blais la tenait à distance de notre regard par des jeux d’ombre, de fragmentation, des représentations de dos. Ici, il la retourne et la dévoile. Et la surprise est là, dans l’apparition de ces étranges personnages qui nous jettent dans un questionnement sans fin. Car les indices fournis entrent en contradiction : ces hommes sans âge portent des tenues colorées que seul un signe minuscule permet de reconnaître : ce sont des vêtements Adidas. Leurs habits évoquent ainsi certaines catégories sociales, les « jeunes des banlieues », mais leur visage aux yeux clos et à la longue barbe leur donne une allure de « vieux saint », emprunt d’une spiritualité paradoxale. Le peintre explique que la barbe, d’abord notation d’époque (la barbe est de nouveau portée par tous, comme les habits Adidas), est devenue un « accessoire de liaison » puis « une référence à une vieille barbe peinte depuis des siècles (2) ». À l’évidence, cette barbe est un lien d’un point de vue esthétique, mais ce lien n’aurait-il pas un sens plus profond, comme dans Endouble [Peinture sur affiches arrachées, 2016], où la barbe semble être la marque d’une initiation, voire d’une filiation ou d’un hommage voilé ? À Malevitch, dont la découverte fut déterminante ? Peutêtre, ou pas ! Quelques apories subsistent ainsi. If one had to use only one word for the practice of Jean Charles Blais, it would be experimentation. His work, which bears on the fragmentation of the body, is carried forward by a constantly renewed series of confrontations. His works have accustomed us to ambiguity and polysemia, qualities which are certainly in evidence in this show at Catherine Issert, the gallery that has supported the explorer Blais ever since the early days. This selection of recent paintings proves that his work is as powerful as ever, and also slips in a few surprises. One is immediately struck by the importance of reiteration in his practice. Make “art out of each variation” (1) is a principle that is perceptible here in the series of paintings on torn posters—a support used by Blais since the 1980s, and now something of a trademark—and in the “pinned” collages and the gouaches in which blacks set off color and white. The choice of works made for this show brings out another characteristic which adds complexity to the relations between the forms: reiteration becomes doubling. But what really distinguishes this exhibition which proclaims the return to color are the changes in the handling of the figure. Before now, Blais kept it at a distance from our gaze by using shadows and frag- mentation, by representing figures from behind. Here, he turns the figure round and reveals it. And the surprise is due to these strange figures that throw us into an endless questioning. For the clues they provide are contradictory: these ageless men wear colored outfits that are identified only by a tiny logo as Adidas. Their garments also evoke certain social categories, “suburban youth,” but their closed eyes and long beards make them look like “old saints,” suffused with a paradoxical spirituality. The painter explains that the beard, at first a period marker (everyone nowadays wears a beard, as they do Adidas sportswear) became a “linking accessory” and then “a reference to an old beard, as painted for centuries now.”(2) Clearly the beard is a link from an aesthetic point of view, but does it not also have a deeper meaning, as in Endouble [painting on torn posters, 2016 ], in which the beard seems to be the sign of an initiation a filiation or even a veiled homage? To Malevich, who was a decisive discovery for the artist? Perhaps, perhaps not. A few aporias remain.
Translation, C. Penwarden