Joana Hadjithomas & Khalil Joreige
Jeu de Paume / 7 juin - 25 septembre 2016 Sur un écran TV, un ancien détenu du camp de détention de Khiam (Sud-Liban) dit : « La force de la destruction nous pousse à nous souvenir. » Nous voyons son visage, mais le son de sa voix ne nous parvient pas. Seuls les sous-titres donnent accès à son témoignage. Cet extrait synthétise puissamment la réflexion menée par Joana Hadjithomas et Khalil Joreige depuis la fin des années 1990. La mémoire, sa transmission et sa résistance, nourrit un travail transdisciplinaire où s’entremêlent la photographie, la vidéo, la sculpture et l’installation. L’image, sa transformation et son partage, constitue le coeur de leur pratique. L’archive, ce qui reste, joue un rôle déterminant. Qu’elle soit réelle ou fictive, elle représente un point de départ pour déployer ou déplacer les récits d’histoires personnelles et collectives. Beyrouth, ville natale des deux artistes, incarne le lieu de résistances et de transformations de la mémoire. La ville, meurtrie d’une manière visible et invisible, a subi différentes mutations. Les deux artistes s’en saisissent par une approche à la fois visuelle, mémorielle et cartographique. Le Cercle de confusion (1997) présente une vue aérienne de Beyrouth. L’image est formée de trois mille fragments détachables. Au fil de leur passage, les visiteurs sont invités à retirer les images apposées à la surface d’un miroir. Progressivement, l’image de la ville disparaît pour laisser place au reflet non seulement des visiteurs mais aussi de l’exposition en cours. Derrière chaque fragment est imprimé : « Beyrouth n’existe pas. » La ville serait un mirage, un souvenir persistant. Les artistes creusent la dimension mythologique du souvenir qui hante les familles déplacées, qui, d’une génération à l’autre, transmettent une mémoire collective. L’exposition est formée d’oeuvres anciennes et d’oeuvres inédites comme le film Ismyrne (2016) qui croise les témoignages de Joana Hadjithomas et d’Etel Adnan. À travers les cartes, les photographies, les lettres et les objets, les deux femmes échangent leurs souvenirs de Smyrne (Izmir) où vivaient leurs familles respectives qui, chassées par l’armée turque dans les années 1920, ont subi un violent exode. Smyrne demeure un paradis perdu, un espace de fantasmes où sont ancrées leurs origines. Joana Hadjithomas a décidé de se confronter à son histoire en se rendant à Smyrne. Aucun membre de sa famille n’y était retourné. Devant l’écran d’un ordinateur, elle montre son film à Etel Adnan, qui revoit Smyrne pour la première fois. Au fil des images, elles analysent l’absorption mémorielle et traumatique de l’individu et du groupe. La mémoire est ainsi travaillée comme une matière dont les traductions visuelles et sonores portent un déplacement du récit amnésique de l’Histoire. On a TV screen, a former inmate of the Khiam prison camp in southern Lebanon says: The power of destruction impels us to remember.” We can see his face, but the sound of his voice does not reach us. Only the subtitles convey his words. This excerpt powerfully sums up the explorations made by Joana Hadjithomas and Khalil Joreige since the late 1990s. Memory, its transmission, and its resistance are the marrow of their work with photography, video, sculpture and installation. The image, its transformation and its sharing constitute the heart of their practice. The archive—what remains—plays a key role here. Whether real or fic- tive, it represents a starting point for the deployment or displacement of personal and collective stories. Beirut, the artists’ home town, is the place of resistance where memory is transformed. The city, scarred both visibly and invisibly, has been transformed in multiple ways which the two artists grasp by a approach that is at once visual, memorial and cartographic. The Circle of Confusion (1997) presents an aerial view of Beirut. The image is constituted by three thousand detachable parts. As they pass by, visitors are encourage to remove the images placed on the surface of a mirror so that gradually the image of the city gives way to the reflection of the exhibition goers and the exhibition itself. Printed on the back of each fragment are the words: “Beirut does not exist.” The city as mirage, persistent memory. The artists explore the my- thological dimension of the memory that haunts the displaced families that, from generation to generation, pass on the collective memory. This exhibition comprises old works and new pieces like the film Ismyrne (2016), which compares the viewpoints of Joana Hadjithomas and Etel Adnan. Using maps, photographs, letters and objects, the two women exchange their memories of Smyrna (Izmir), home of their respective families until the invading Turkish army brutally forced them into exile in the 1920s. Smyrna is a lost a paradise, a fantasy space synonymous with their origins. Hadjithomas decided to face up to her history and do what no other member of her family had done: travel to Smyrna. Sitting at her computer she showed the resulting film to Adnan, who was seeing the city again for the first time. As the images passed before them, they analyzed the mental and traumatic absorption of the individuals and the group, working memory like a substance whose visual and aural translations displace the amnesic narrative of History.
Translation, C. Penwarden