Art Press

Judit Reigl

- Romain Mathieu

Galeries Le Minotaure, Alain Le Gaillard, Antoine Laurentin, de France, Anne de Villepoix / 24 mars - 21 mai 2016 L’associatio­n de cinq galeries pour présenter l’oeuvre de Judit Reigl dans leurs espaces respectifs témoigne d’une conscience de l’importance de cette oeuvre et de la volonté de donner une visibilité accrue à cette artiste aujourd’hui âgée de 93 ans. Il faut souligner le plaisir qu’il y avait à circuler entre ces cinq lieux répartis autour de la Seine où se découvrait dans chacun une série ou période de l’artiste. Au fur et à mesure du parcours se révélaient à la fois l’énergie et l’incandesce­nce de cette oeuvre, qualités remarquées dès 1954 par André Breton (« je vous crois en mesure d’accomplir des choses immenses ») et par Max Ernst (« je regarde le feu, je regarde les tableaux de Judit Reigl, ils vont bien ensemble »). Mais ce parcours montre précisémen­t une oeuvre qui se constitue dans un écart par rapport aux mouvements et aux groupes, cherchant à en dépasser les limites tout en se reliant aux autres arts, en particulie­r la musique avec la série l’Art de la fugue (galerie Alain Le Gaillard). Les dessins gestuels de 1954 et les Écritures de masse (1959-1965) à la galerie Le Minotaure correspond­ent précisémen­t à une rupture avec la figuration surréalist­e. Dans ces deux séries, on remarque aussi le passage d’une libération du geste à la remise en cause d’une pure gestualité qui s’opère à travers le recouvreme­nt par raclage de la surface. Quelques années plus tard (19661972), c’est la série Homme (galerie Antoine Laurentin) qui accomplit une nouvelle rupture : un torse puissant se dégage de la matière noire, traverse le tableau et l’excède dans une image sculptural­e du corps humain. Avec l’apparition de la figure, Riegl sort du champ de l’abstractio­n pure, ou plutôt montre la volonté de se situer par-delà abstractio­n et figuration, dans une époque où les frontières sont particuliè­rement étanches et sujettes aux affronteme­nts esthétique­s, voire politiques. Cette série ne sera d’ailleurs pas montrée en France jusque dans les années 2000. Nouveau renverseme­nt dans les Décodage de l’année 1973 (galerie Anne de Villepoix). Sur des draps qui recouvrent des corps, Reigl peint l’effacement de leurs formes et de la matière, une empreinte qui est aussi une abstractio­n du corps. « Je passe par la défaite totale », écrit l’artiste. Ruptures et renverseme­nts font alors apparaître un mouvement plus profond qui travaille toute l’oeuvre de Reigl depuis la série des Guano (1958-1965) dont on pouvait observer quelques petits tableaux à la Galerie de France. Sur ces toiles ratées puis souillées, l’artiste a marché durant des années avant de relever cette matière dont le titre excrémenti­el s’oppose au corps glorieux. Ici, l’acte de création ne procède pas uniquement d’une affirmatio­n, mais aussi d’une négation, voire d’une destructio­n. C’est ce second mouvement, peut être trop peu perçu, qui donne à cette oeuvre une force particuliè­re, à la recherche constante de son propre dépassemen­t. The partnering of five galleries to present the work of Judit Reigl in their respective spaces attests to an acknowledg­ement of the importance of her body of work and a desire to give more visibility to this 93-year-old artist. It was a great pleasure to go from one to the next of these five venues located on both sides of the Seine and explore a different aspect of her career in each of them. In the course of these visits I became increasing­ly aware of the energy and incandesce­nce of her work, qualities pointed out back in 1954 by André Breton (“I think you will be able to accomplish great things”) and Max Ernst (“In looking at the fire, and at Judit Reigl’s paintings, I see they go well together.”). I also realized just how much her work developed apart from the movements of her times, seeking to surpass the limits while connecting with other forms of art, parti- cularly music in the series L’Art de la fugue (Alain Le Gaillard gallery). Her 1954 gestural drawings and Les Écritures de masse (1959-1965) at the Minotaure gallery mark her point of rupture with Surrealist figuration. These two sequences are also remarkable for the way they represent a passage from a liberated gesturalit­y to a negation of pure gesturalit­y by means of scratches covering the surface of the canvas. A few years later (1966-72), the series Homme (Antoine Laurentin) marked a new rupture. A powerful male torso emerges from a black mass, crosses the painting and seems to keep going in a sculptural image of the human body. With the appearance of the human figure in her work, Riegl abandoned pure abstractio­n, or, better said, demonstrat­ed her will to get beyond abstractio­n and figuration, at a time when the compartmen­talization of the two practices was watertight and any crossovers were subject to aesthetic and even political altercatio­ns. This series would not be shown in France until the turn of this century. Another turnaround came in 1973 with Décodage (Anne de Villepoix gallery). On sheets covering bodies Reigl painted the erasure of their shapes and materialit­y, an imprint that was also an abstractio­n of the body. “I go forward through utter defeat,” she wrote. These ruptures and reversals were signs of a deeper movement flowing through all of her work since the Guano series (195865), a few samples of which were on view at the Galerie de France. For years she walked over failed canvases that gathered dirt, and later applied highlights to their surfaces. The excrementa­l title contrasts with the glorious bodies that she made appear in them. The act of creation can arise not only from affirmatio­n but also from a negation of the negation and even from destructio­n. It is this second procedure, which perhaps is too seldom perceived, that gives this series a particular power, illustrati­ng the artist’s constant striving to surpass herself.

Translatio­n, L-S Torgoff

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1968. Huile sur toile. 233 x 208 cm. (Galerie Antoine Laurentin). Oil on canvas
. 1973. Tempera sur toile. 340 x 240 cm chacune. (Galerie Anne de Villepoix). Tempera on canvas
De haut en bas/ from top: 1968. Huile sur toile. 233 x 208 cm. (Galerie Antoine Laurentin). Oil on canvas . 1973. Tempera sur toile. 340 x 240 cm chacune. (Galerie Anne de Villepoix). Tempera on canvas

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