Art Press

LÉONORA MIANO des vies intimes

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interview par Vincent Roy

Léonora Miano Crépuscule du tourment Grasset, 288 p., 19 euros Crépuscule du tourment, le huitième roman de Léonora Miano qui obtint le prix Femina en 2013 pour la Saison de l’ombre, est un grand roman « sonore ». Quatre femmes subsaharie­nnes parlent, elles s’adressent au même homme, Dio, mais il ne les entend pas. Quatre voix se succèdent dans ce roman choral : celle de la mère de Dio, un être « social », celle d’Amandla, la femme aimée dont il s’est écarté, celle d’Ixora, avec laquelle il avait choisi de vivre parce qu’il ne l’aimait pas, enfin celle de Tiki, sa soeur. Toutes racontent leur vie, leurs secrets, leurs blessures. Elles ont en commun une enfance douloureus­e. Elles ont eu à porter depuis « la nuit des temps » le double fardeau de la colonisati­on et d’une féminité asservie. Comment échappent-elles à la famille qui est le lieu du drame? L’écriture de Léonora Miano est ensemble puissante, fragile et sensuelle. Comme ses héroïnes.

VR

Comment est née l’idée de ce livre ? Il n’est pas né d’une idée mais d’un besoin. En effet, j’avais besoin de réfléchir à des questions qui me taraudaien­t, des questions assez intimes, lesquelles avaient à voir avec la famille, mais aussi avec ma vie de femme, ma vie amoureuse, ma vie sexuelle. Il se trouve que lorsque je me pose des questions et que j’ai besoin de réfléchir, j’y réponds toujours mieux en racontant une histoire. C’est ainsi, d’une certaine façon, que le texte s’est imposé à moi. J’avais ce besoin de réfléchir à ma vie de façon profonde. J’avais un peu plus de quarante ans, je venais de vivre un énième chagrin d’amour, mes échecs amoureux cuisants et destructeu­rs s’accumulaie­nt et je me disais : il va bien falloir que cela cesse. En somme, il m’a fallu écrire afin de comprendre pourquoi je répétais certains schémas, d’où je venais et à qui je ressemblai­s. C’est comme si la littératur­e était là, selon vous, pour dire la vérité d’un chemin de vie, d’un parcours ? Au moins, oui, pour Pourquoi, à vous lire, peut-on avoir le sentiment que ces quatre femmes, ces quatre voix féminines traitent de mêmes questions, certes sous des angles différents, mais qu’elles forment une seule voix ? C’est que, sans doute, je suis audible dans chacune. Mais ces voix sont venues d’un endroit tellement intime qu’il est peutêtre normal que je n’ai pas réussi à échapper à moi-même. Même en recourant à la fiction, il y a peut-être, avec ce livre, des battements de coeur qui s’entendent chaque fois qu’un personnage parle… enfin des battements de mon coeur. Justement, à propos de coeur, la mère de Dio, celui auquel toutes ces femmes s’adressent, déclare : « Sous ces latitudes où le ciel n’est ni un abri, ni un recours, être femme c’est mettre à mort son coeur. » Curieuse formule. « Tuer son coeur » est une expression qu’on utilise beaucoup au Sénégal et que je trouve assez parlante.

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Léonora Miano (Ph. J.-F. Paga/Grasset)

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