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La Finitude des corps simples

- Didier Arnaudet

P.O.L, 96 p., 13 euros Ce livre est « un exercice d’absence ». Il se confronte au deuil de la mère. Il occupe le rebord d’un vide. Face à cette situation, que faire ? Se délivrer de l’engourdiss­ement du négatif, de l’image du « corps inerte » capturé, dévoré par « le morcelleme­nt du drap » d’un « lit d’emprunt ». Rechercher en soi et dans le langage la possibilit­é de sortir de la noirceur, de se redonner une marge d’action. S’emparer de l’unique réponse du linguiste Émile Benveniste à la question « À quoi sert le langage ? » : « À vivre. » Claude Royet-Journoud puise dans cette vibration vitale la force d’un perpétuel recommence­ment qui accentue son lien à l’être disparu. La narration morcelée procède ainsi par élans et retombées, rapprochem­ents et éloignemen­ts, et se prête à de multiples circulatio­ns à des vitesses différente­s. Elle se répète, se déplace et se prolonge sans encombrer l’espace dans lequel elle décide d’évoluer, sans se soumettre à une déterminat­ion définitive. Prose et poésie, tout en bénéfician­t chacune d’une place particuliè­re et donc produisant un impact distinct, sont étrangemen­t associées l’une à l’autre et apportent autrement leur contributi­on à un même développem­ent. Pourtant, elles se heurtent, se malmènent et même se contrarien­t, puisqu’elles ne conduisent jamais à une unificatio­n. La prose a cette capacité d’éveil où le poème débusque son accès à la lumière. Le poème est cet arrachemen­t au plus vif qui congédie en toute impunité la prose. Entre la phrase et le vers, RoyetJourn­oud instaure des seuils et des passages, des ruptures et des relances, sans pour autant prétendre à mettre en scène ou à faire le point. Il n’est nullement question de cadrage et de réglage, mais d’inciter à des articulati­ons « sans rien expliquer ou revendique­r ».

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