Mourir ne me suffit pas
Corlevour, 112 p., 15 euros Beaucoup d’esperluettes dans le dernier recueil de poèmes de Pascal Boulanger. L’esperluette, c’est ce qui fait noeud, tresse, torsade du « e » et du « t », comme dans cette trame : « Titubant ça & là ». C’est une union mystique, un noeud métaphysique, un entrelacs, comme dans « le glouton entouré de clochards & de prostitués » ( l’Évangile a passé !). L’esperluette accélère l’écriture, la ponctuation la ralentit. Mourir ne me suffit pas est un livre construit à rebours de la mort. Il tient tout entier entre la « fin des terres » (« J’ai besoin d’une lumière grise / pour m’habituer à la mort », Finistère, premier poème du recueil), soit la mort de la connaissance, la fin de l’Histoire, & la lumière, la lueur, si faible soit-elle, d’une bougie (« La flamme d’une bougie / balaie les dernières traces / du monde ») du dernier poème. Entre ces deux extrémités se joue le jeu du monde de Boulanger, au beau milieu de ses poètes préférés, qui remontent par discrètes allusions : Dante, Rimbaud, Claudel, Pleynet, et même Héraclite, le seul « païen » de cette constellation, dans un poème titré l’Incestuel : « L’aiôn reviendra jouer avec la parole / autrefois levée haut / quand sortira de l’arche avec effroi avec joie / l’anonyme enfant. » Malheur à ceux qui recèlent des déserts et élèvent des « murs aveugles » : c’est alors que « la mer des joncs ne s’ouvre plus », que « plus aucun fleuve souterrain n’apparaît à la lumière ». Boulanger a prononcé autrefois une conférence sur Pleynet & Rimbaud ; maintenant, il écrit directement du Rimbaud, c’est mieux! Lisez ça : « Un coeur […] / marche dans la boue marche dans l’or / […] dans la chaleur jaune des fauves. » Elle est retrouvée ! Quoi ? La rosée du temps. Ce sont les « noces » de Pascal Boulanger allées avec les « vitraux du ciel » (Rosée).