Journal 1944-1952
Claire Paulhan, 464 p., 43 euros Jacques Lemarchand fut un des meilleurs critiques dramatiques de l’après-guerre. Albert Camus lui ouvrit les colonnes de Combat, et c’est dans ce journal, puis dans le Figaro littéraire à partir de 1950, qu’il fit connaître et défendit les auteurs de théâtre les plus novateurs de l’époque, dont Beckett, Jean Vauthier, Ionesco, Adamov, Duras… Pendant les années noires de l’Occupation (voir son Journal des années 1942-1944, publié chez le même éditeur en 2012), il eut des responsabilités au sein de la maison d’édition Gallimard. Je ne suis pas sûr que les romans qu’il publia, très jeune, soient beaucoup lus aujourd’hui, mais peut-être, comme c’est le cas pour Philippe Muray, estce son Journal ( des milliers de pages) qui restera comme son grand oeuvre ? Rien de commun, certes, entre ces deux entreprises autobiographiques. De littérature, de débats d’idées, de politique, il n’est guère question dans le Journal de Lemarchand. En revanche, saouleries, dragues, baises, sont systématiquement consignées. Projet annoncé d’emblée par ce lucide et désabusé priape : « Dire vrai – Et tout. » Il s’y tient, et ce déroulé du « tout » et du « vrai » n’est pas sans impressionner le lecteur. D’autant que le lieu de travail et le terrain de chasse de Lemarchand tiennent dans l’espace exigu d’un quartier délimité par la maison Gallimard, la Rhumerie, la brasserie Lipp, le bar du Pont-Royal, quelques salles de théâtre et les appartements des maîtresses. Mais ce qui rend précieux ce volume-ci du Journal, c’est ce qu’il nous dit sur l’atmosphère de l’après-guerre, notamment sur la libération des moeurs tous azimuts et le dérèglement des morales qui succèdent aux peurs, aux angoisses, aux culpabilités nées de la défaite, de Vichy et de l’Occupation.