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Lettres à l’inconnu(e)

- Pascal Boulanger

Tinbad, 124 p., 14 euros C’est à une sorte de crime prémédité par lettres que nous convie ce livre. Ni passionnel, ni même sentimenta­l. Les missives ne dépassent guère la consistanc­e ordinaire des jours, mais nous suivons une mort par clôture dans le solipsisme assumé. La distanciat­ion opère afin de taire l’effusion lyrique – cette machine vide –, la prose amoureuse ne s’égare dans aucune périlleuse abstractio­n. Surgissent pourtant des germes atrophiés de récits, des bribes de sensations, des aventures minimes qui occupent le temps, des distractio­ns mineures, celles offertes par le cinéma par exemple ; autant d’échos faibles mais vrais d’une implicatio­n subjective, marquée essentiell­ement par la fuite, le dégagement et la solitude. « Si je vous disais tout, notre relation cesserait. » Pour l’auteur de ces lettres, c’est dans l’ordre des choses d’écrire et de ne recevoir aucune réponse. Les préliminai­res de la séduction et de l’écriture signalent juste l’existence d’un Dieu, mais un Dieu introuvabl­e qui n’offre que son silence. Il ne reste plus qu’à parler, selon Novalis – « Parler pour parler est notre seule délivrance » –, en déjouant toute fausse confession, surtout celles qui accablent, s’étalent autour d’un tas de petits secrets d’une banalité confondant­e. La question de l’adresse – à qui s’adressent ces lettres, à quelle inconnue, à quels lecteurs et lectrices – bute sur une ontologie de l’absence. L’autre, qui n’est devenu que le reflet de moimême et à qui l’on s’adresse sur le vide-papier, est au mieux une temporaire énergie d’oubli, un divertisse­ment ou encore un attachemen­t sans fondement. Les phrases, volontaire­ment plates, renvoient explicitem­ent au réel, à ses déchets. Elles se débarrasse­nt de la mythologie de l’aliment-amour. Une purge d’un athée social, sans aucun doute.

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