Lettres à l’inconnu(e)
Tinbad, 124 p., 14 euros C’est à une sorte de crime prémédité par lettres que nous convie ce livre. Ni passionnel, ni même sentimental. Les missives ne dépassent guère la consistance ordinaire des jours, mais nous suivons une mort par clôture dans le solipsisme assumé. La distanciation opère afin de taire l’effusion lyrique – cette machine vide –, la prose amoureuse ne s’égare dans aucune périlleuse abstraction. Surgissent pourtant des germes atrophiés de récits, des bribes de sensations, des aventures minimes qui occupent le temps, des distractions mineures, celles offertes par le cinéma par exemple ; autant d’échos faibles mais vrais d’une implication subjective, marquée essentiellement par la fuite, le dégagement et la solitude. « Si je vous disais tout, notre relation cesserait. » Pour l’auteur de ces lettres, c’est dans l’ordre des choses d’écrire et de ne recevoir aucune réponse. Les préliminaires de la séduction et de l’écriture signalent juste l’existence d’un Dieu, mais un Dieu introuvable qui n’offre que son silence. Il ne reste plus qu’à parler, selon Novalis – « Parler pour parler est notre seule délivrance » –, en déjouant toute fausse confession, surtout celles qui accablent, s’étalent autour d’un tas de petits secrets d’une banalité confondante. La question de l’adresse – à qui s’adressent ces lettres, à quelle inconnue, à quels lecteurs et lectrices – bute sur une ontologie de l’absence. L’autre, qui n’est devenu que le reflet de moimême et à qui l’on s’adresse sur le vide-papier, est au mieux une temporaire énergie d’oubli, un divertissement ou encore un attachement sans fondement. Les phrases, volontairement plates, renvoient explicitement au réel, à ses déchets. Elles se débarrassent de la mythologie de l’aliment-amour. Une purge d’un athée social, sans aucun doute.