Le Sillon du poème. En lisant Philippe Beck
Nous, 128 p., 16 euros Lorsqu’Alain Badiou constata la fin de l’âge des poètes, ainsi que du privilège dont ceux-ci avaient longtemps joui quant à l’accès à la vérité, il ne voulait pas dire qu’ils n’avaient plus rien à nous dire – ni que les philosophes devaient s’abstenir de les lire. Lui-même ne cachait pas combien sa fréquentation de la frange la plus avancée du modernisme poétique participait de ses méditations ; le poème, s’il n’est plus le lieu désigné du vrai, demeure celui où quelque chose du vrai peut être tracé. Lisant les grands recueils de Philippe Beck, ou bien son essai Contre un Boileau, Jacques Rancière lui donne aujourd’hui raison, quoique sous d’autres coordonnées, et d’après un découpage différent de l’histoire. Pour Rancière, le poème ne se dit jamais en général, mais dans le un-par-un de la « forme » singulière de ce qu’il nomme « un noeud entre une pratique de la langue et une figure de la pensée ». Au fil de deux études, accompagnées de deux échanges avec Beck, Rancière tente de déployer sa forme propre, qu’il qualifie de l’expression énigmatique de « bouphonie transcendantale ». De fait, « transcendantal » dit assez combien la « figure de la pensée » accompagnant la pratique singulière de la langue de Beck est bien le « rapport entre poésie et vérité », pourvu qu’on accepte que la vérité soit une surprise. Car, souligne Rancière, on ne trouvera pas, chez Beck, la posture poétique familière du berger de l’être intégrant dans les volutes de son écriture le souffle métaphysique de l’oracle, de l’inspiration ou de l’innommable. Badiou disait juste : cette vérité-là est morte – et celle que Beck donne à percevoir, constituée de bric et de broc, de machines et d’animaux, de choses et de crimes, est tout autre. Le tout autre du pur faire.