Contrenarrations
Cambourakis, 352 p., 24 euros « Les jeunes artistes nègres créent aujourd’hui dans le but d’exprimer notre propre peau noire, à notre manière, sans peur, ni honte. Si les Blancs sont satisfaits, nous sommes ravis. S’ils ne le sont pas, ça n’a pas d’importance. Nous savons que nous sommes beaux. Et laids à la fois. » Ces phrases insolentes et salutaires ont été écrites en 1926 par Langston Hughes, poète et nouvelliste américain, figure majeure du mouvement Harlem Renaissance. Presque cent ans plus tard, alors que les États-Unis connaissent une vague de crimes racistes visant les Afro- Américains, paraît un livre passionnant : Contrenarrations de John Keene. Élaboré en treize récits, traduits de façon inventive par Bernard Hoepffner, le roman est une immersion au temps de l’esclavage et une description lucide de la nature humaine. Suivant les divagations sombres de l’Histoire, le lecteur est transporté dans le Brésil du 17 siècle, pendant la guerre de Sécession américaine, en janvier 1754, au cours de l’accouchement de Mary, une jeune femme noire. Mêlant imaginaire, faits réels, cartes et archives, John Keene met notamment en scène Tom Sawyer et Huckleberry Finn, les deux personnages légendaires, ainsi que le compositeur Bob Cole ( 1868-1911), auteur de A Trip to Coontown, la première comédie musicale entièrement créée par des chanteurs noirs. Aux antipodes du folklore, contre la narration platement naturaliste, John Keene renoue avec la puissance des grands romans américains, qu’on songe à Ralph Ellison et son Homme invisible, à Ce cadavre n’est pas mon enfant de Toni Cade Bambara et Lumière d’août de Faulkner. Une trouée hors du discours officiel ou comment faire entendre les notes de musique qu’on pensait effacées.