Art Press

La Grande Villa

- François Poirié

Gaïa, 84 p., 8,50 euros Un livre « adressé » – ici, au père mort – relève d’un statut ambigu, entre lettre et conversati­on imaginaire. Le lecteur a quelquefoi­s du mal à y trouver sa place. La narratrice de la Grande Villa ne s’en soucie pas, prisonnièr­e de ses pensées de deuil, de vide, d’absence, qu’accueille, au coeur de l’été étouffant de Marseille, cette maison hors normes qui, « dans la réalité », est une résidence d’écrivains où a séjourné Laurence Vilaine. Cette maison fut d’emblée, pour la narratrice, « une rencontre ». Elle décrit avec justesse et pudeur ses relations avec ce lieu qui l’accompagne, l’enveloppe, quand tout semble se perdre, y compris l’écriture. La narratrice, pour tenter d’oublier, nage beaucoup ; elle se dédouble comme si elle ne voulait pas croire tout à fait au « pour-toujours de la mort », pour reprendre la belle expression de Vladimir Jankélévit­ch. Elle fait confiance à ses pensées, du moins aux pensées essentiell­es, nécessaire­s. Pas de raisonneme­nts pesants dans ce court roman, mais des éclats de philosophi­e sans emphase, une sorte de découverte permanente issue de la grande tragédie. Et cette révélation : écrire ne suffit pas à panser les blessures, ne donne aucun sens à la perte. Écrire devient cruel, synonyme de la douleur elle-même. Écrire ne nous apprend rien, mais confirme le mystère. Dans ce beau roman sobre et grave, la narratrice, lucide, dit que « c’est avec ce qu’on ne connaît pas que l’on écrit, dans la peur et la fatigue ; cela peut prendre beaucoup de temps ». Vient un moment où jaillit la lumière. Le livre est fini et peut être lu. L’écrivain et le lecteur se rencontren­t enfin et la narratrice, libérée – « J’ai soudain vingt ans, le monde m’attend » –, peut se tourner vers d’autres horizons de création.

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