La Grande Villa
Gaïa, 84 p., 8,50 euros Un livre « adressé » – ici, au père mort – relève d’un statut ambigu, entre lettre et conversation imaginaire. Le lecteur a quelquefois du mal à y trouver sa place. La narratrice de la Grande Villa ne s’en soucie pas, prisonnière de ses pensées de deuil, de vide, d’absence, qu’accueille, au coeur de l’été étouffant de Marseille, cette maison hors normes qui, « dans la réalité », est une résidence d’écrivains où a séjourné Laurence Vilaine. Cette maison fut d’emblée, pour la narratrice, « une rencontre ». Elle décrit avec justesse et pudeur ses relations avec ce lieu qui l’accompagne, l’enveloppe, quand tout semble se perdre, y compris l’écriture. La narratrice, pour tenter d’oublier, nage beaucoup ; elle se dédouble comme si elle ne voulait pas croire tout à fait au « pour-toujours de la mort », pour reprendre la belle expression de Vladimir Jankélévitch. Elle fait confiance à ses pensées, du moins aux pensées essentielles, nécessaires. Pas de raisonnements pesants dans ce court roman, mais des éclats de philosophie sans emphase, une sorte de découverte permanente issue de la grande tragédie. Et cette révélation : écrire ne suffit pas à panser les blessures, ne donne aucun sens à la perte. Écrire devient cruel, synonyme de la douleur elle-même. Écrire ne nous apprend rien, mais confirme le mystère. Dans ce beau roman sobre et grave, la narratrice, lucide, dit que « c’est avec ce qu’on ne connaît pas que l’on écrit, dans la peur et la fatigue ; cela peut prendre beaucoup de temps ». Vient un moment où jaillit la lumière. Le livre est fini et peut être lu. L’écrivain et le lecteur se rencontrent enfin et la narratrice, libérée – « J’ai soudain vingt ans, le monde m’attend » –, peut se tourner vers d’autres horizons de création.