Art Press

Post-scriptum

- François Poirié

Jacqueline Chambon, 280 p., 22 euros Début des années 1930, un palace isolé dans les montagnes suisses allemandes, un acteur célèbre – Lionel Kupfer – au charme magnétique qui vient s’y reposer, le jeune postier du village, Walter, hanté par ses désirs de corps masculins, une brève liaison, et c’est tout. L’un repart affronter le tourbillon hollywoodi­en, l’autre reste, amoureux pour la vie. Ce serait tout – et c’est déjà beaucoup… – si l’histoire de ce « coeur simple » n’était bousculée par le nazisme, et par la folie de sa mère, engluée dans la mémoire floue. Mais, et il nous faut y insister, la beauté singulière du roman d’Alain Claude Sulzer – qui reçut le prix Médicis étranger 2008 pour Un garçon parfait –, c’est l’ampleur et la précision du style, qui n’est pas sans rappeler par moments l’art de Nabokov. Il n’y a pas d’écriture féminine, affirmait, en développan­t, Nathalie Sarraute dans l’Ère du soupçon, comme il n’y a pas d’écriture homosexuel­le. Ou alors ce serait associer le génie universel d’un Jean Genet aux simplismes sociologis­ants d’un Édouard Louis, roitelet d’un jour. Les vrais écrivains, comme Sulzer, vivent dans le monde et savent parler de tout, une fois le miroir brisé. Ici, par exemple, Sulzer analyse avec une rare justesse le phénomène de la voix, dont certaines, celle de Delphine Seyrig pour ne citer qu’elle, changent votre vie à jamais. Comme une histoire d’amour. Livre tragique, Post-scriptum, ne sauve pas Lionel Kupfer, bien au contraire : « Il était lourd, le monde était lourd. Lorsque celui-ci se mit à vaciller, il vacilla avec lui. » Chute et fin dans les brumes et la solitude. Kupfer n’arrivera pas à s’adapter aux nouvelles technologi­es du cinéma, au passage du muet au parlant. Le thème de la perte est finement analysé par Sulzer, ainsi que celui de la candeur, mystérieus­e, de Walter.

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