György Ligeti
Fayard, 464 p., 28 euros Le György Ligeti de Karol Beffa se lit comme un roman. La raison tient à la saisissante trajectoire de ce musicien né en 1923, qu’une plume alerte retrace avec autant d’empathie que de pudeur : originaire de Transylvanie (région ballottée par l’Histoire), issu d’une famille hongroise, juive assimilée, Ligeti affronta toutes les grandes tragédies du 20 siècle : déportation d’une partie de sa famille, dictature soviétique, rocambolesque échappée à l’Ouest, vie d’exilé dans différents pays. Très personnelle, sa trajectoire musicale témoigne d’une incessante exigence de renouvellement, depuis des débuts sous le signe de Bartók jusqu’au tournant postmoderne, où s’épanouirent son goût pour le nonsense et sa fascination pour les illusions sonores, en passant par le compagnonnage avec l’avant-garde de Darmstadt et le façonnement de polyphonies denses et soyeuses. Nourrie d’entretiens inédits avec le compositeur et avec Pierre-Laurent Aimard – « le » pianiste des Études –, cette biographie valorise la curiosité de Ligeti, qu’inspirèrent tout à la fois, pour leur potentiel poétique, les fractales et la théorie du chaos, la fantaisie de Lewis Carroll ou celle de Boris Vian, les structures paradoxales d’Escher et les sculptures cinétiques de Tinguely. En privilégiant l’approche par l’imaginaire, de funambules en pyrotechnies, de toiles d’araignées en mécaniques folles, Beffa rend vivantes les oeuvres de Ligeti, dont il souligne la force d’évocation. En creux s’esquisse le portrait du biographe, lui- même compositeur, féru de cinéma et de mathématiques, passionné par la dialectique entre le mécanisme des horloges et la poésie des nuages ( Clocks and Clouds), et soucieux de rapprocher le dernier Ligeti du courant de la Nouvelle Tonalité.