Beat Generation. New York, San Francisco, Paris
Centre Pompidou / 22 juin - 3 octobre 2016 Depuis quelques années, on assiste à un renouveau éditorial autour de la Beat Generation – de Herbert Huncke ( Coupable de tout, Seuil, 2010) à l’édition des étonnants Journaux de bord de Jack Kerouac (Gallimard, 2015) et à l’excellente édition des lettres de Neal Cassady ( Finitude, 2014 et 2015) –, mais il fallait une grande exposition rassemblant ses principaux protagonistes pour permettre une prise de conscience de l’incroyable effervescence, tant en littérature que dans les arts plastiques, de ce mouvement qui, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à la Guerre froide, autour de Jack Kerouac, William S. Burroughs et Allen Ginsberg, va rassembler une centaine de protagonistes. Des écrivains, poètes, cinéastes, photographes, éditeurs, graphistes, qui entreront en résistance contre une Amérique totalement maccarthysée, consumériste et moralisatrice. Il n’est jamais facile de faire une exposition autour de la littérature. Mais ici, tout s’entremêle. PhilippeAlain Michaud, le commissaire de cette remarquable exposition, a réuni et fait valoir l’interdisciplinarité de la Beat Generation, démontrant ainsi que tout participe d’une même énergie, d’un même beat. Organisée autour du rouleau tapuscrit de Sur la route de Jack Kerouac, l’exposition propose un itinéraire passant par New York, San Francisco, Tanger, le Mexique et Paris. En effet, la capitale française fut, de 1957 à 1963, l’épicentre du mouvement et le lieu de nombreuses expérimentations. Ce fut aussi l’occasion de la rencontre, par l’entremise de Jean-Jacques Lebel – qui signe un article passionnant dans le catalogue fort documenté édité à cette occasion – entre d’anciens agitateurs dada et cette génération renouvelée de dézingueurs. On a oublié combien la Beat Generation fut francophile : il faut notamment, pour s’en rendre compte, lire les carnets de Kerouac dans lesquels il incite ses compagnons à lire Stendhal. Alors, rue Gît-le-Coeur, dans le Beat Hotel, s’inventent des Dreamachine, des cut-up, des associations poétiques, des expérimentations picturales : des peintures réalisées par Gregory Corso, Allen Ginsberg, Peter Orlovsky et, ce n’est pas anecdotique, Ghérasim Luca. Il n’a évidemment pas fallu l’attrait de Paris pour que les membres beat s’intéressent aux images. Les peintures et les dessins de Kerouac réalisés à partir des années 1940 en témoignent, tout comme les photographies de Ginsberg, qu’il annotera trente ans plus tard d’une fine écriture noire et que l’on regarde autant qu’on les lit. États-Unis, Tanger, Inde ou ailleurs, Ginsberg est un observateur : image ou texte, le poète agit de la même manière, dans une même démarche qui consiste à capter précisément un battement du monde. Quant aux montages d’images et aux collages de Burroughs, ils répondent à ses cut up poétiques ; et dans les films, nombreux, chacun se trouve, tour à tour, devant ou derrière la caméra. Outre les livres, l’exposition présente plusieurs revues, notamment celle de Wallace Berman, Semina, que l’on pourrait considérer comme l’une des plus belles réussites de l’édition beat. Tirée à trois cents exemplaires, s’y côtoient poèmes, dessins, photographies, collages, certains rassemblés dans des pochettes de disques, témoignant de l’influence de la musique, du jazz notamment, dans l’écriture et les images réalisées alors. Et puis il y a les enregistrements, la poésie à voix nue. On avait pu entendre une large sélection de ceux de John Giorno au Palais de Tokyo, à l’automne 2015 ; ici y répondent les mélopées énervées ou suaves de Kerouac, de Ginsberg, d’autres encore. C’est sans doute l’une des caractéristiques de la Beat Generation : faire de la poésie à l’ère de sa diffusion reproductible, en utilisant le disque, la pellicule, la radio. La voix d’abord, plutôt que le papier. Aujourd’hui encore, la Beat Generation inspire les artistes à continuer de lier texte et images. Un immense calepinage, réalisé par Allen Ruppersberg et composé d’affiches fluorescentes mises les unes à côté des autres, emplit des murs entiers du poème de Ginsberg, Howl. Réalisé en 2013, ce