Kyungah Ham nouer les fibres invisibles
Kyungah Ham: Knitting Invisible Threads.
Durant l’été 2008, Kyungha Ham (né en 1966, vit à Séoul) découvrit un grand papier échoué au sol devant la porte de la maison de ses parents, située dans les quartiers nord de Séoul. Lorsqu’elle l’examina, elle y trouva un message qui semblait venir tout droit de son enfance : il s’agissait d’un flyer de propagande, orné d’images de Kim Jong-il (1), probablement envoyé par voie aérienne par la Corée du Nord, dont la frontière n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres. Il y a trente ans, alors qu’on trouvait encore régulièrement ces papiers en provenance du Nord, on demandait aux écoliers de les apporter en classe, comme acte de propagande anti-communiste. Cette scène aurait pu rester « anecdotique » pour un habitant de Séoul, mais Kyungah Ham est une artiste dont les oeuvres sont le plus souvent imaginées comme des objets de réflexion politique, qui décortiquent, exposent et dénoncent l’hypocrisie des différents instruments du pouvoir. La série des Museum Display, par exemple, réalisée de 2000 à 2010, présente de façon très clinique, dans des vitrines, une grande variété d’objets volés dans divers endroits du monde, en particulier dans des cafés ou des boutiques de musées nationaux. Elle y revendique un geste à la fois radical et pacifique, destiné à faire remonter dans notre conscience le fait que les grands musées nationaux tels que le Louvre ou le British Museum sont avant tout des machines dévorantes d’autres civilisations, qui légitiment les pillages organisés dans les colonies pour les présenter fièrement au public des collections permanentes. La découverte de ce flyer de propagande va donc donner naissance à la série la plus emblématique de l’artiste : Needling Whisper, Needle Country à laquelle elle travaille depuis 2008. DÉFIER LA CENSURE Kyungah Ham s’est demandé comment communiquer avec les habitants de la Corée du Nord et a imaginé un procédé à la fois pacifique et subversif qui contourne l’immense tension qui règne entre les deux pays. Elle a commencé par collecter de nombreux articles évoquant la guerre et la terreur, et a demandé au poète Sung Ki-wan de les réécrire dans un registre aujourd’hui un peu démodé, correspondant aux tournures de langage du début et du milieu du 20e siècle. Elle a ensuite réuni des dessins réalisés par des enfants irakiens qui ont grandi pendant la guerre, pour créer de grandes compositions mêlant les textes retravaillés et les dessins. Le but de ces compositions était de les faire voyager en Corée du Nord