Daniel Templon 50 ans et du mordant Catherine Millet
Daniel Templon a découvert l’art contemporain dans les années 1960, en achetant, à la librairie de François Maspero, la Joie de lire, des cartes postales qui reproduisaient des tableaux abstraits. Il précise : « Le lien ne s’est pas fait par une démarche intellectuelle, mais de manière purement instinctive. » Qui aujourd’hui pourrait avoir la même démarche ? Qui pourrait avoir l’oeil accroché par des images qu’il ne reconnaît pas sur un tourniquet, et obéir, à partir de là, à ce qui est non pas tant une vocation qu’un appel d’air l’emportant dans l’inconnu ? Un extra-terrestre peut-être, débarquant de sa planète, parce qu’un jeune terrien né sous notre ciel, lui, a été, dès son plus jeune âge, pris en mains à l’occasion des sorties scolaires dans les musées, éduqué par les programmes « jeune public », peut-être même traîné dans les foires d’art par des parents consciencieux. En tout cas, une jeune personne qui entreprend aujourd’hui des études d’histoire de l’art, ou de management culturel !, choisit une « filière », elle ne marche pas à « l’instinct ».
LA LIBERTÉ DE LA NAÏVETÉ
J’ai, dans ces années-là, quand il créait sa galerie, partagé la vie de Daniel Templon – comme on dit –, et partagé cette expérience. Nous débarquions de la même banlieue, et nous avions le désir de quelque chose que nous aurions été bien incapables de désigner, mais à laquelle ces formes d’art qui ne ressemblaient à rien de ce que nous connaissions, pourraient nous conduire. Futurs artistes, directeurs de galerie, de musée, critiques, premiers amateurs, nous devions être nombreux, parmi cette génération, dans ce cas et, me semble-t-il, c’est cette naïveté qui donnait à nos idées et à nos actes leur liberté, c’est-à-dire leur valeur. Cinquante ans plus tard, Daniel Templon revient sur son parcours dans un livre que signe Julie Verlaine, Une histoire d’art contemporain, Daniel Templon (Flammarion). L’ouvrage est découpé en chapitres à la fois chronologiques et thématiques, chaque chapitre constitué d’un texte de l’historienne qui retrace les grandes lignes de l’histoire de la galerie et la situe dans son contexte, et d’un entretien qu’elle mène avec celui qui n’accepte qu’à regret de se dire « galeriste », déplorant que l’expression « marchand d’art » soit connotée négativement en France (une France plus hypocrite qu’elle ne le croit). Un autre ouvrage, album rétrospectif des expositions de la galerie, est annoncé, à paraître un peu plus tard dans la saison. Le livre est donc une coupe dans l’histoire de l’art des dernières décennies et l’étude de l’évolution d’un métier pendant cette période. La « coupe » est d’autant plus pertinente que Templon qui n’avait rien à perdre (ni des a priori culturels, ni l’argent qu’il n’avait pas), faisait des choix audacieux. Ses débuts sont marqués par l’émergence de l’art conceptuel (Art & Language, Kosuth, Burgin, Venet, Weiner), celles des démarches singulières de Boltanski et de Le Gac, et de l’abstraction de Support-Surface et alentours (Cane, Devade, Rouan, plus tard Viallat). Par ailleurs, sur une scène française encore très refermée sur elle-même, il n’a certes pas découvert, mais il a fait découvrir au public parisien ces très grands artistes américains que sont Judd, LeWitt, Andre, Serra, Stella, et il a exposé à plusieurs reprises Warhol… Sur tous ces artistes, Julie Verlaine ne nous apprend pas grand-chose. Sans doute par ignorance de la scène actuelle, elle expédie même dans les oubliettes des artistes toujours très actifs et bien présents. Faute de matière fournie par le « galeriste » sur ce qui l’a personnellement conduit vers les artistes, on sent qu’elle tire un peu à la ligne et il n’y a guère que lorsqu’elle exhume des extraits de la correspondance avec des artistes, des confrères, des conservateurs, des collectionneurs, qu’on en apprend sur les mécanismes à l’arrière-plan de l’histoire. C’est peu, mais c’est peutêtre aussi qu’on ne peut pas écrire